Un an après les débuts de la pandémie de Covid-19, les hypothèses se bousculent encore sur l’origine du virus Sars-CoV-2. Les chercheurs n’ont toujours pas mis la main sur l’hôte intermédiaire responsable de la transmission du virus à l’homme, ce qui alimente les théories autour d’une fuite de laboratoire. Le silence de la Chine ajoute à l’énigme. Que sait-on réellement de l’origine de ce coronavirus ?
Alors que treize experts mandatés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) viennent de poser le pied sur le sol chinois pour essayer d’identifier la véritable origine de la pandémie mondiale la plus meurtrière du siècle, les hypothèses se bousculent encore. Plus de douze mois après l’émergence du nouveau coronavirus, nul n’a encore été capable de déterminer vraiment d’où il vient.
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Un virus de chauve-souris
L’origine animale n’est cependant plus écartée. Les coronavirus constituent une grande famille de virus zoonotiques qui peuvent infecter l’homme, comme nous le rappelle la pandémie actuelle, mais aussi les animaux. L’arbre phylogénétique qui relie cette famille virale est très large et, d’une extrémité à l’autre, les virus sont plus ou moins semblables. Mais ce sont les coronavirus de chauves-souris qui ont attiré l’attention.
Les chauves-souris sont des hôtes naturels de nombreux coronavirus. Ces derniers sont principalement détectés chez deux grandes familles de chiroptères, les vespertilionidés et les rhinolophidés, qui hébergent à elles seules 46 % des coronavirus de chauves-souris identifiés dans le monde. C’est donc tout naturellement que les chercheurs se sont intéressés à leur rôle dans la pandémie actuelle.
Et c’est chez un rhinolophe que des chercheurs de Wuhan ont notamment mis la main sur le plus proche parent du nouveau coronavirus connu à ce jour. Le coronavirus “RaTG13” est identique à 96 % au Sars-CoV-2. Mais trop d’éléments génétiques diffèrent encore pour que ce dernier soit un virus proximal, c’est-à-dire en lien direct avec le coronavirus pandémique. Beaucoup de questions se posent encore sur l’origine directe de celui-ci. La chauve-souris a été pointée du doigt, le pangolin accusé, le vison contaminé, mais il manque toujours le “maillon intermédiaire” qui pourrait expliquer avec certitude comment ce virus animal a pu sauter la barrière d’espèce et infecter l’homme.
Plusieurs détails font encore défaut et certains indices restent inaccessibles, murés derrière des portes fermées. La Chine rechigne toujours à partager des informations sur l’origine de la pandémie susceptibles de l’incriminer.
Un coronavirus venu de Chine ?
Le pouvoir chinois n’a cessé de réécrire l’anamnèse de la pandémie. D’abord, le virus se serait échappé du marché de Wuhan où la viande d’animaux sauvages est commercialisée. Désormais, il affirme que son émergence aurait pu arriver n’importe où dans le monde, voire à de nombreux endroits du globe simultanément. Mais ce n’est pas tant les différentes versions du récit qui gênent les scientifiques que la volonté de dissimuler les données et les preuves nécessaires pour remonter à la source de la flambée virale.
Dans un premier temps, pour savoir comment a émergé le nouveau coronavirus, il aurait fallu pouvoir séquencer des prélèvements effectués chez les animaux ayant été en contact avec le patient zéro. Outre le fait que ce dernier n’a pu être identifié, le marché de Wuhan a été nettoyé de fond en comble, probablement pour des soucis de décontamination, mais sans laisser le temps aux chercheurs d’investiguer de plus près.
Ces “maladresses” se seraient multipliées, avec notamment une restriction d’accès, depuis septembre, à certaines bases de données cruciales. En effet, depuis la crise liée au syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), en 2002-2003, plusieurs équipes chinoises ont collecté sur leur territoire de nombreux nouveaux coronavirus dans les populations de chauves-souris. L’objectif était de mieux connaître ces virus ennemis hébergés par les chiroptères. Des milliers d’animaux ont été étudiés, de nombreux virus séquencés, et énormément de données générées. Mais depuis quelques mois, l’accès à cette masse d’informations est limité, alors que les séquences génétiques qui s’y trouvent pourraient aider à mieux comprendre l’origine du virus actuel. Des études phylogéniques, qui se penchent sur la généalogie des virus et les recombinaisons éventuelles des séquences isolées, pourraient justement être la clé.
Et ce n’est pas tout. Certains scientifiques rapportent des freins, voire une forte censure concernant les publications sur la provenance du coronavirus. Depuis février 2019, toutes les recherches et les publications ayant trait à l’origine du virus sont soumises à une autorisation au plus haut niveau avant de pouvoir être diffusées. Alors que les études chinoises sur l’infection, la contagiosité, la persistance ou l’immunité face au virus pullulent, celles autour de la genèse de l’épidémie, et uniquement celles-ci, sortent au compte-gouttes.
De la censure aux théories du complot
Malheureusement, ce manque de transparence, en partie dû au gouvernement chinois, a contribué à nourrir d’autres hypothèses sur l’origine du virus, notamment la thèse d’un accident de laboratoire. D’autant que ces mêmes chercheurs qui étudient les coronavirus des chauves-souris pour éviter une catastrophe zoonotique se sont retrouvés au centre de l’attention. En effet, parmi tous les échantillons prélevés par l’équipe de Wuhan figure notamment un génome qui est devenu mondialement célèbre, le fameux “RaTG13”.
D’après certaines sources, les chercheurs chinois auraient ainsi ramené ce bêtacoronavirus de leurs études sur le terrain et l’auraient « mis en culture dans leur laboratoire pour le rendre encore plus virulent ». D’abord perçue comme une théorie du complot, cette idée a grandi dans les esprits et les barrières qui se sont érigées n’ont fait qu’alimenter les suspicions, même dans les rangs des scientifiques.
Pourtant, les travaux menés par le centre de recherche à Wuhan sont connus de tous et ne sortent pas de l’ordinaire. Les équipes partent collecter des échantillons chez les animaux et lorsqu’elles ont la chance de récupérer un virus vivant, il est isolé de manière à pouvoir l’étudier en laboratoire. L’objectif est notamment de savoir chez quels animaux ces virus peuvent se répliquer, afin d’estimer le risque zoonotique. Il faut en effet être capable de comprendre les mécanismes qui sous-tendent l’origine d’une épidémie pour espérer les prévenir dans le futur. Mais les virus prélevés ne sont pas toujours vivants et infectieux, ils servent juste à faire des séquences. Ce fut notamment le cas pour le fameux RaTG13.
En général, la plupart des laboratoires ne travaillent pas sur les virus entiers, ni ne manipulent des virus vivants. Ils essayent surtout de reconstituer leur génome grâce à l’informatique. Ils se contentent d’extirper une séquence du virus à étudier. En l’occurrence, pour le Sars-CoV2, il s’agit le plus souvent de sa protéine spike, celle qui lui permet de se fixer sur les cellules des hôtes qu’il infecte. Si certains évoquent des manipulations qui permettraient de modifier le code génétique d’un virus pour en accroître la contagiosité, cette pratique est interdite depuis 2017 aux États-Unis en raison du risque induit. Et rien n’indique que les laboratoires chinois incriminés avaient la capacité de créer un virus tel que le Sars-CoV-2.
Pour la plupart des scientifiques donc, la Covid-19 demeure le fruit d’une transmission virale de l’animal à l’homme. Cette hypothèse dominante est loin d’être tirée par les cheveux, au contraire. L’histoire des interactions entre l’homme et les animaux est truffée de virus qui passent de l’un à l’autre. C’est un mécanisme classique et usuel d’émergence virale. Mais comme l’animal en question n’a pas encore été identifié pour le Sars-CoV-2, le doute persiste.
Un “hôte intermédiaire” manquant
Si les scientifiques savent que le Sars-CoV-2 provient d’une chauve-souris, probablement de l’espèce Rhinolophus affinis, puisque son plus proche cousin le RaTG13 a été découvert chez cette espèce, ils suspectent que l’homme n’a probablement pas été infecté directement. En effet, le cousin en question, si proche soit-il, n’est pas un “virus proximal”. Sa différence génétique avec le Sars-CoV-2 est encore trop importante. Il manque un maillon de la chaîne, le fameux “hôte intermédiaire”.
Après plusieurs hypothèses, les scientifiques ont jeté leur dévolu sur le pangolin. En effet, 40 % d’un groupe de pangolins saisis par les douanes s’étaient révélés positifs pour un virus très proche du Sars-CoV-2. La protéine spike des deux virus était ainsi similaire à 97,4 %. Autrement dit, le virus du pangolin était logiquement capable d’infecter une cellule humaine, presque aussi efficacement que le Sars-CoV-2.
Mais ce suspect est loin d’être parfait. En effet, le génome entier du virus est trop différent, dans sa globalité, pour être un parent direct du Sars-CoV-2. Il aurait fallu une sorte de virus chimérique, né d’une recombinaison entre le RaTG13 de la chauve-souris et le coronavirus du pangolin. Mais ce virus mutant n’a jamais été découvert et la piste du petit animal à écailles est à présent abandonnée.
Mais si ce n’est pas le pangolin, quel autre animal peut donc être le maillon manquant ? Malheureusement, le doute plane encore. Peut-être même que cet animal n’existe pas, et que le virus est passé directement de la chauve-souris à l’homme. Biologiquement, il n’y a aucun argument qui s’y oppose. D’un point de vue évolutif, la chauve-souris n’est pas plus éloignée de l’être humain que le pangolin ou la civette. Il n’est donc pas plus rationnel de penser que le virus ait pu sauter plus facilement de la civette ou du pangolin à l’homme que de la chauve-souris à l’homme.
En observant les populations de chiroptères, des chercheurs ont même remarqué que les Rhinolophus sinicus, porteurs du plus proche cousin du Sars-CoV-2, possèdent un récepteur ACE2 très variable entre les individus et dont certains ressemblent un peu plus aux récepteurs humains que d’autres. Cette variabilité se retrouve également côté coronavirus, avec une fluctuation importante des protéines spike entre les particules virales.
« Ce travail suggère plusieurs choses : d’abord qu’un virus de type Sars-CoV, capable d’infecter directement l’homme, peut être présent chez les chauves-souris, souligne Jean-François Julien, un écologue qui travaille au Muséum d’histoire naturelle. Mais surtout qu’on ne pourra pas le prédire en séquençant un seul gène ACE2 découvert chez un seul individu, puisqu’on n’aura pas pu voir, dans une seule chauve-souris, toute la variété des récepteurs ACE2 de son espèce. » Il se pourrait donc que le virus que l’on cherche se cache dans les populations de chauves-souris. Mais pour mettre la main dessus, il faudrait avoir la chance incroyable de tomber exactement sur le bon. C’est un peu comme parvenir à trouver une aiguille dans une botte de foin.
La chauve-souris ne serait pas un coupable étonnant aux yeux des chercheurs, puisqu’elle est à l’origine de nombreuses maladies zoonotiques, dont la rage ou la fièvre à virus Ébola. Peter Daszak a notamment conduit des travaux qui concluent que, tous les ans, un nombre extrêmement important de virus de chauve-souris infectent l’homme, entraînant plusieurs millions de contaminations. Mais la plupart passent inaperçues, ne provoquant que des maladies peu contagieuses et non létales. Il est donc possible que des bêtacoronavirus aient déjà infecté l’homme par le passé, et que le virus se soit adapté à ce nouvel hôte.
Plus de questions que de réponses
Vous l’aurez compris, les questions sont encore nombreuses et les réponses rares. Mais si les treize experts en Chine parviennent à achever leurs travaux, ils pourront peut-être mettre un point final à cette énigme : d’où vient ce mystérieux coronavirus qui a déjà contaminé plus de 88 millions de personnes sur Terre ? Mais pour le moment, les études alimentent la multiplicité des hypothèses plus qu’elles ne répondent aux questions ou orientent vers une unique origine du Sars-CoV-2.
Tout le monde s’accorde sur le fait que la mission de l’OMS en Chine est la clé qui permettra d’avancer sur le sujet. Scientifiquement, elle doit permettre d’approcher au plus près l’origine d’une des épidémies les plus mortelles de ces dernières décennies. Mais au-delà de la science pure et dure, cette mission est importante pour établir ou rétablir un circuit de communication avec la Chine, qui peut bouleverser toutes les hypothèses sur la pandémie et alimenter de nombreuses théories qui ne sont pas toujours fondées sur la science.
On sait que de nombreux autres virus, dont des coronavirus, ont le potentiel de sauter la barrière d’espèce et d’infecter l’homme. Il faut coûte que coûte éviter que le même type d’épisode pandémique se répète, mais aussi que la réaction des instances mondiales soit aussi décousue. Pour cela, il faut s’appuyer sur une cohésion, une transparence et une politique mondiale commune. Et la première étape pour y arriver commence maintenant.