Au terme d’un long marathon parlementaire, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages* a définitivement été adoptée par l’Assemblée nationale, en quatrième lecture, le 20 juillet. Riche de 174 articles, elle entérine notamment l’interdiction prochaine des néonicotinoïdes, ces pesticides responsables de la mortalité massive des abeilles et des pollinisateurs sauvages ces dernières années. Au-delà de la protection des abeilles, le texte voté répond aux objectifs fixés et compte de réelles avancées, en dépit de quelques reculs par rapport au projet initial, notamment en raison des concessions faites aux différents lobbies impliqués.
Après deux ans de débats et de navette entre l’Assemblée nationale et le Sénat, les députés ont eu le dernier mot et se sont prononcés en faveur du texte le plus favorable aux insectes pollinisateurs. L’usage des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes (clothianidine, thiaméthoxame, imidaclopride) et des semences traitées avec ces produits sera interdit à partir du 1er septembre 2018 pour l’ensemble des cultures agricoles. Toutefois, c’est une victoire en demi-teinte, car les ministères de l’Agriculture, de l’Environnement et de la Santé pourront accorder des dérogations conjointes à cette interdiction jusqu’au 1er juillet 2020, en l’absence de produits ou de méthodes de substitution disponibles. Cela laisse quatre ans au secteur agricole pour changer de pratiques. D’ici là, les effets dévastateurs de ces pesticides sur la faune, l’eau et les sols vont donc perdurer, sans oublier leur neurotoxicité pour l’homme.
Malgré tout, la loi portée par Barbara Pompili, secrétaire d’État à la biodiversité, marque une étape importante dans l’évolution du droit de l’environnement en France, quarante ans après la loi de 1976 sur la protection de la nature. Elle inscrit notamment la réparation du préjudice écologique dans le Code civil. Désormais, toute personne responsable « d’une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » est tenue de réparer cette dégradation, et cela « par priorité en nature », c’est-à-dire en remettant en état le milieu dégradé quand c’est possible, ou sinon en versant « des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l’environnement, au demandeur ou à l’État ».
Le texte inscrit aussi plusieurs principes fondamentaux dans le Code de l’environnement, qui devront pris être en compte par les maîtres d’ouvrage lors de tout projet d’aménagement, comme la règle « qui implique d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites », ou les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité qui visent un objectif « d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité » assorti d’une obligation de résultats, ou encore le principe de la « non-régression de la protection de l’environnement » qui exige une « amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».
L’une des mesures phares de cette loi reste la création de l’Agence française pour la biodiversité (AFB). Cet établissement public à caractère administratif verra finalement le jour avec un an de retard, le 1er janvier 2017. Sa vocation est de veiller à la préservation, à la gestion et à la restauration des milieux terrestres, aquatiques et marins. La nouvelle entité regroupera les 1 200 agents de quatre organismes existants : l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema), l’Atelier technique des espaces naturels (Aten), l’Agence des aires marines protégées et les Parcs nationaux de France. Parmi ses missions, ce nouvel interlocuteur devra contribuer au développement des connaissances, des ressources, des usages et des services écosystémiques attachés à la biodiversité, mais aussi lutter contre la biopiraterie. Toutefois, grâce à un lobbying particulièrement intense des chasseurs, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) continuera d’exister en parallèle de l’AFB, de même que l’Office national des forêts.
Sont également créés le Comité national de la biodiversité, une instance d’information et de consultation sur les questions stratégiques liées à la biodiversité, et le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) dont la mission est de fournir, via des avis, une expertise scientifique et technique. En outre, dans un objectif de protection de la santé publique, une collection nationale de ressources biologiques sera mise en place, alimentée par les collectes des laboratoires chargés de la surveillance microbiologique.
Un autre lobby, celui des pays producteurs d’huile de palme comme l’Indonésie et la Malaisie, a exercé avec succès de fortes pressions pour obtenir le retrait de la surtaxation de cette production, destinée à lutter contre la déforestation galopante. Face aux menaces de représailles commerciales, la “taxe Nutella” est donc abandonnée, mais l’objectif d’une certification durable des huiles de palme, lui, est maintenu. L’Assemblée a également décidé de revoir, d’ici à six mois, le dispositif fiscal qui s’applique actuellement aux huiles alimentaires, dans le but de favoriser les huiles végétales produites de façon durable.
D’autres mesures ont été abandonnées au cours du long processus législatif, comme l’interdiction du chalutage en eaux profondes, la reconnaissance de l’animal sauvage comme un être sensible ou encore l’interdiction du piégeage à la glu des oiseaux. En revanche, un amendement adopté permet dorénavant aux associations de protection de la nature de contribuer aux plans d’actions en faveur des espèces menacées, aux côtés des instituts scientifiques compétents. De même, un article limite la portée des brevets dans le domaine génétique, en interdisant de breveter des matières obtenues par des procédés essentiellement biologiques (gènes natifs). Une autre disposition précise que les battues et autres opérations de piégeage ou de destruction d’animaux nuisibles ne peuvent concerner les espèces protégées.
Il est par ailleurs interdit d’introduire dans le milieu naturel, de détenir, transporter, mettre en vente des espèces exotiques envahissantes, animales ou végétales. D’ici à un an, le gouvernement devra remettre au Parlement un rapport sur l’impact du développement des espèces invasives sur la biodiversité, portant notamment sur les interdictions de vente de certaines espèces, au regard des objectifs fixés en France. Quant aux mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens d’espèces listées par arrêté et détenus en captivité, ils devront être identifiés individuellement. Pour assurer le suivi de ces animaux non domestiques, les données relatives à leur identification seront enregistrées dans un fichier national. La vente d’un tel animal vivant, à titre gratuit ou onéreux, devra s’accompagner d’une attestation de cession et d’un document d’information sur ses besoins et conditions d’entretien. En outre, le cédant devra s’assurer que l’acquéreur dispose bien d’une autorisation de détention. La publication d’une petite annonce de vente de ces animaux, y compris en ligne, devra mentionner le numéro d’identification de chaque spécimen.
Enfin, la loi prévoit un renforcement significatif des sanctions pénales lors d’atteinte aux espèces protégées (15 000 € à 150 000 € pour un acte individuel, 150 000 € à 750 000 € dans le cadre d’une criminalité organisée), ainsi que la création d’un délit de trafic de produits phytosanitaires en bande organisée.
Le texte permet en outre à la France de ratifier le protocole international de Nagoya, signé le 20 septembre 2011, qui réglemente l’accès aux ressources génétiques naturelles et aux connaissances traditionnelles associées, et impose le partage juste et équitable des avantages qui découlent de leur utilisation avec les communautés locales.
Au final, pour la rapporteure Geneviève Gaillard, le texte de loi adopté après 27 mois de débat parlementaire « ne constitue pas un aboutissement, seulement une première étape dans la mise en œuvre d’une refonte, d’une restructuration de notre politique publique de conservation de la biodiversité ».
* http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0803.asp