Si la pandémie Covid-19 est l’une des crises sanitaires les plus graves de ce siècle, elle aurait été surement pire si les vétérinaires ne s’étaient pas montrés présents en première ligne, de par leurs connaissances sur le virus et leur aide humaine et matérielle. Mais a-t-on su faire valoir leur soutient ? Retour sur la situation.
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Les vétérinaires en première ligne des connaissances
« Présents chez nombre d’espèces animales, les vétérinaires connaissent très bien les coronavirus, sans doute même beaucoup mieux que les médecins, » explique au GIRCOR Jean-Luc Guerin, professeur à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse et à la tête du groupe Aviculture & Pathologie Aviaire.
Péritonite infectieuse féline, diarrhée épidémique du porc, bronchite infectieuse des poules ou encore Betacoronavirus du chien et du bovin, les coronavirus prennent toutes les formes chez l’animal. Mais un coronavirus reste un coronavirus, quelle que soit l’espèce touchée, d’après le vétérinaire. Confrontée à ce groupe de pathogènes depuis toujours, la médecine vétérinaire s’attèle depuis des années à trouver des solutions aux challenges que posent le diagnostic et la vaccination contre les coronavirus.
Et c’est en se basant sur les connaissances acquises chez l’animal que les vétérinaires ont pu rapidement prédire les comportements de SARS-CoV-2, notamment son évolution et son immunité, anticiper sa prise en charge et fabriquer des tests. Des avances non négligeables dans la course contre le nouveau virus.
Aguerrie aux épidémies émergentes, la profession vétérinaire est au fait de nombreuses stratégies contre les pandémies.
Tous les deux ans environ, les vétérinaires gèrent une crise sanitaire majeure (entre autres les épidémies de fièvre aphteuse, fièvre catarrhale ovine, vache folle, influenza aviaire, émergence de cas de rage sur le territoire national) et elle le fait avec succès grâce à son expérience et le maillage sanitaire. Réactifs et entrainés, les vétérinaires sont un atout non négligeable dans les circonstances pandémiques, en particulier si le virus est d’origine animale et connu des services.
Ils ont donc naturellement cherché à apporter une aide contre SARS-CoV-2.
Une aide humaine et matérielle en solidarité
Rapidement les vétérinaires se sont mobilisés pour soutenir la médecine. Face au manque de matériel à disposition dans les hôpitaux et des tensions d’approvisionnement de certains produits de santé indispensables au traitement des patients, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires a demandé à l’ensemble de la profession de se montrer solidaire avec la médecine humaine.
Dans le cadre de la réserve sanitaire, l’ensemble des vétérinaires et étudiants du pays a été appelé à s’engager aux côtés des soignants dans la gestion de la crise sanitaire en donnant de leur temps et du matériel.
Les premiers produits de santé qui sont venus à manquer aux professionnels de la médecine humaine ont été des dispositifs médicaux. En particulier, les médecins et personnels soignants ont rapidement signalé des quantités insuffisantes d’équipements de protection individuelle. Le 20 Mars, quelques jours seulement après l’entrée de la France en confinement, les vétérinaires ont donc été enjoints par leur ordre professionnel à céder une partie de leurs masques, gants, surchaussures, surbottes et blouses de blocs et de combinaisons aux professionnels de la santé humaine.
En même temps, les vétérinaires ont été sollicité pour prêter aux établissements de santé du matériel d’anesthésie et de réanimation destiné à la prise en charge des animaux. Au total ce sont 420 respirateurs permettant d’assurer la ventilation artificielle du patient, 504 appareils de monitoring permettant de surveiller les paramètres vitaux des individus et 1749 concentrateurs d’oxygène pour alimenter des dispositifs médicaux d’assistance respiratoire en oxygène qui ont été mis à disposition par 2500 vétérinaires qui ont répondu à un questionnaire.
» Les respirateurs artificiels, les appareils de monitoring et les concentrateurs d’oxygène que les vétérinaires ont mis à disposition des établissements de santé peuvent être utilisés sur des êtres humains dans la mesure où ces dispositifs ont initialement été développés pour l’Homme avant d’être adaptés par les vétérinaires à la prise en charge d’animaux de compagnie et de chevaux « , explique Jacques Guérin, président de l’Ordre des vétérinaires, à Sciences et Avenir. Seuls quelques paramétrages doivent être réalisés afin de réadapter ces appareils à l’être humain.
Très rapidement également, des tensions d’approvisionnement concernant certains médicaments essentiels au traitement des patients atteints de Covid-19 dans les unités de soins intensifs se font sentir. Sont particulièrement concernés, les stocks de médicaments myorelaxants (qui ont pour effet de relâcher les muscles), de sédatifs et d’analgésiques, tous nécessaires à l’intubation et à la ventilation artificielle des patients. Cependant, l’utilisation de médicaments vétérinaires en médecine humaine, n’est pas automatique et doit être validée au cas par cas.
En effet, si tous les médicaments, à usage humain comme à usage vétérinaire, doivent répondre à des standards établis par le Code de la santé publique, leur contrôle dépend de deux organismes différents : l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) pour les médicaments à usage vétérinaire et l’Agence nationale de sécurité des médicaments à usage humain (ANSM) pour les médicaments à usage humain. Et donc les procédures de mise sur le marché ainsi que les normes de fabrication ne sont pas les mêmes.
L’ANSM a donc dû évaluer la sécurité d’usage de certains médicaments vétérinaires sur l’Homme, validé par des décrets. Les hôpitaux ont ainsi pu obtenir ces produits pharmaceutiques auprès des industriels et des grossistes et non auprès des vétérinaires eux-mêmes, ces derniers devant conserver un stock de médicaments pour les animaux qu’ils doivent soigner.
Enfin, les laboratoires vétérinaires se sont proposés dès le milieu du mois de mars de réaliser des tests de diagnostic ou de dépistage du Covid-19. Pouvant effectuer 300 000 tests de dépistage et 500 000 tests sérologiques par semaine, le secteur aurait pu être crucial dans la lutte contre le virus. Cependant la biologie vétérinaire et la biologie médicale étant formellement séparées depuis l’entrée en vigueur de la loi du 30 mai 2013, les autorités ont longuement étudié la proposition des vétérinaires.
C’est seulement le 5 avril puis le 14 avril, par un arrêté, que les laboratoires vétérinaires, au même titre que les laboratoires hospitaliers, de ville, de recherche, de gendarmerie et de police volontaires ont été autorisés à réaliser les tests de détection du virus par PCR et les tests sérologiques.
Des vétérinaires trop peu sollicités
Si, dès le 20 Mars, les vétérinaires se sont montrés motivés et déterminés à aider leurs pairs, ils ont aussi été confrontés à une frustration administrative. « De nombreux vétérinaires ont cherché à s’engager dans cette réserve en s’inscrivant sur la plateforme mise à disposition par Santé Publique France mais la profession n’avait pas été inclue dans ce dispositif« , raconte Jacques Guérin à Sciences et Avenir.
En cause : une séparation réglementaire. Les pratiques des professionnels de la santé sont encadrées par le Code de la santé publique tandis que les pratiques des vétérinaires sont encadrées par le Code rural et de la pêche maritime. Les professionnels de la santé dépendent donc du ministère en charge de la santé, ministère qui peut mobiliser la réserve sanitaire, alors que les vétérinaires dépendent du ministère en charge de l’agriculture. Et cette scission a ralenti les démarches et freiné les ardeurs.
Alors que les directeurs des laboratoires publics, appuyés par les présidents de conseils départementaux dont ils dépendent, avaient proposé depuis le début de la crise et avec insistance d’apporter leur contribution à la lutte contre le Covid-19, il aura fallu attendre le 5 avril pour que les laboratoires vétérinaires soient officiellement autorisés à réaliser des tests de détection du SARS-CoV-2. Et encore à la mi-avril, des freins (administratifs et techniques) ne leur permettaient toujours pas de fonctionner à plein régime.
Une occasion manquée donc. Car les vétérinaires ont toutes les compétences requises pour prêter main-forte à leurs collègues en médecine humaine, notamment grâce à leur formation large, allant de la médecine générale à la chirurgie.
Des détails qui frustrent considérablement. De nombreux vétérinaires trouvent surprenant et regrettable que, dès le début de la crise du Covid-19, leur expertise relative aux zoonoses et aux épidémies n’ait pas été mise à contribution par les pouvoirs publics et le secteur médical. Dans ces circonstances, l’expertise vétérinaire est disponible et doit être pleinement utilisée.
Aussi, les vétérinaires ont mis en place leur propre dispositif de recensement. Les coordonnées des vétérinaires disponibles ont été transmis aux ARS : en cas de besoin, il incomberait à ces agences d’organiser à l’échelle régionale la mobilisation des vétérinaires volontaires. Ceux-ci pouvaient en particulier aider à la régulation téléphonique dans les centres d’appels ou aux taches logistiques de désinfection.
Ce fut donc, pour la France, une occasion manquée et une sortie de crise sans doute plus lente, alors que le pays disposait de nombreux personnels volontaires et dédiés et de laboratoires très performants mis en attente.
Comment expliquer le cloisonnement actuel et regrettable entre des disciplines de santé qui plus que jamais auraient dû se soutenir, s’entre aider et agir à l’unisson ?
Les vétérinaires, les sentinelles de la santé humaine
Ce n’est pas sans raison que l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l’Association Mondiale Vétérinaire (AMV) attirent ensemble l’attention sur les rôles et les responsabilités de la profession vétérinaire pour la santé publique.
Elles mettent en évidence les activités vétérinaires spécifiques qui sont essentielles pour assurer un continuum en matière de sécurité sanitaire de prévention des maladies et de gestion des urgences. Les vétérinaires font partie intégrante de la communauté mondiale de la santé.
Alors que les experts estiment que 75% de toutes les maladies infectieuses humaines émergentes proviennent de populations animales, les vétérinaires jouent un rôle clé dans la prévention et la gestion des maladies. Dans ce sens, les vétérinaires ont un rôle primordial dans la lutte contre les maladies émergentes, d’une part dans la description de ce qui se passe chez l’animal, mais également en maitrisant et limitant les interfaces animal-humains qui facilitent le franchissement des barrières.
« On ne fait pas que du médical mais aussi un travail de surveillance et de biosécurité. Le rôle des vétérinaires et du personnel impliqués dans les approches d’écologie des maladies ont un rôle essentiel en première ligne. C’est indéniable, » ajoute le Pr. Jean-Luc Guerin.
Le concept de santé universelle One Health prend ici tout son sens. La santé humaine et la santé animale sont interdépendantes et liées à la santé des écosystèmes. Une telle approche s’impose pour éviter la multiplication des crises sanitaires, comme celle que nous connaissons actuellement.
Or ces émergences sont de plus en plus fréquentes et il va aussi falloir tirer les leçons du passé, tout en ayant un regard sur le futur. Ces professions en première ligne face à une émergence virale – vétérinaires, agronomes, écologues, biologistes de la faune sauvage – doivent être mises sur le devant de la scène pour espérer combattre plus efficacement la prochaine pandémie. Il y a urgence à revaloriser et décloisonner en France tous les secteurs de la santé, en adoptant une approche One Health.