La Commission européenne a présenté un plan d’action européen de lutte contre le trafic d’espèces sauvages, le 26 février à Bruxelles, qui vise également à renforcer le rôle de l’Union dans l’offensive menée contre ce commerce illégal aux ramifications mondiales. Prévu sur cinq ans, cette déclaration de guerre aux trafiquants de tout poil est qualifiée d’historique et saluée notamment par l’International Fund for animal Welfare (Ifaw). Les mesures de lutte adoptées entendent en effet mobiliser l’ensemble des moyens des 28 États membres en matière de diplomatie, de commerce et de coopération au développement.
Le trafic mondial de la flore et de la faune sauvages rapporte entre 8 et 20 milliards d’euros par an aux trafiquants, ce qui en fait l’une des activités criminelles les plus lucratives au monde avec le trafic de drogue, la traite d’êtres humains ou la contrefaçon. Le commerce illégal d’espèces qui décime les populations d’éléphants (ivoire), de rhinocéros (cornes), de tigres (peau, tête, griffes, etc.), d’oiseaux exotiques, ou encore les forêts tropicales, apparaît comme le plus juteux, mais de nombreuses autres espèces sont concernées, notamment les reptiles et les pangolins. Ce trafic, qui se chiffre en millions d’animaux et de végétaux souvent menacés d’extinction, a des répercussions non négligeables sur la biodiversité à l’échelle planétaire, les économies et la sécurité des communautés locales, le développement durable et l’aide au développement, la gouvernance mondiale. Depuis dix ans, la guerre contre le braconnage a en outre fait un millier de victimes chez les gardes forestiers lors des opérations de lutte menées dans le monde entier.
Prévu sur cinq ans, de 2016 à 2020, le plan européen veut mettre fin au trafic des espèces sauvages en conjuguant volonté politique et actions sur le terrain. La Commission supervisera ainsi la mise en œuvre efficace d’une trentaine de mesures**, chacune avec un délai imparti, qui s’articulent autour de trois priorités : la prévention, une mise en œuvre renforcée et un partenariat mondial.
- Prévenir le trafic : les mesures prévues pour traiter le mal à la racine visent à réduire la demande et l’offre de produits illégaux issus d’espèces sauvages, tant au sein de l’Union que dans le reste du monde. Par exemple, d’ici à la fin de l’année, la Commission élaborera des lignes directrices visant à suspendre l’exportation d’objets en ivoire anciens en provenance de l’Union et veillera à ce que ce marché fasse l’objet d’un contrôle strict de la part des États membres. En outre, les communautés rurales dans les pays d’origine du trafic seront associées à la conservation des espèces sauvages jusqu’à en retirer des avantages, tandis que des dispositions multilatérales et bilatérales seront prises pour faire face à la corruption.
- Renforcer la mise en œuvre : l’objectif des mesures adoptées est de surveiller de près l’application de la réglementation européenne existante, par exemple sur l’importation des trophées de chasse, et d’intensifier la lutte contre les groupes criminels organisés en renforçant la collaboration entre les services répressifs, via le soutien d’Europol et d’Eurojust, mais aussi la coopération transfrontalière et internationale en matière de répression. Cela passe également par la sensibilisation des experts du crime organisé au trafic d’espèces et par le réexamen des législations nationales afin que ce commerce constitue une infraction grave dans toute l’Europe, passible d’au moins quatre ans de prison. En outre, la directive 2008/99 relative à la criminalité environnementale sera revue cette année, en particulier pour rendre plus efficaces les sanctions pénales à appliquer dans l’Union en cas de trafic d’espèces sauvages.
- Accroître le partenariat mondial entre les pays d’origine, de destination et de transit : les mesures prises prévoient notamment un soutien financier de l’Union aux pays d’origine pour les aider à renforcer l’application de la législation et fournir à leurs populations rurales des sources de revenus à long terme. Le trafic d’espèces sauvages figurera en outre dans le programme d’action diplomatique de l’Union, qui utilisera aussi sa politique commerciale et ses moyens pour encourager les progrès à l’échelle régionale et mondiale.
Ainsi, l’Union s’engage à jouer un rôle prépondérant dans la protection des espèces sauvages à travers la mise en œuvre de ce plan qui implique tous les acteurs, dans le monde entier. Il est grand temps, car « la criminalité faunique a atteint une ampleur inouïe : un éléphant est tué pour son ivoire toutes les quinze minutes, la population de rhinocéros décline rapidement et de nombreuses autres espèces animales, parmi les reptiles et les oiseaux, sont menacées d’extinction. Une action immédiate et concertée était donc indispensable », souligne l’Ifaw. « Si l’évolution continue à ce rythme, un enfant né aujourd’hui verra disparaître les derniers éléphants et rhinocéros sauvages avant son vingt-cinquième anniversaire », renchérit un commissaire européen.
Quelque 20 000 éléphants et plus de 1 200 rhinocéros ont été tués en 2014, selon Bruxelles. En tant que principal donateur au niveau international, l’Union européenne soutient les efforts de conservation en Afrique à hauteur de 700 millions d’euros pour la période 2014-2020.
Cette initiative s’inscrit par ailleurs dans un cadre plus large, celui du plan d’action de l’Union européenne destiné à renforcer la lutte contre le financement du terrorisme, présenté par la Commission le 2 février 2016. Elle contribue également à la réalisation de l’Agenda 2030, le nouveau cadre mondial pour l’éradication de la pauvreté et le développement durable adopté en septembre 2015 : son objectif 15, relatif à la biodiversité, vise en effet à « prendre d’urgence des mesures pour mettre un terme au braconnage et au trafic d’espèces protégées de la flore et de la faune, et s’attacher aussi bien à la demande qu’à l’offre de produits illicites issus d’espèces sauvages ».
Avant d’être opérationnel, le plan d’action européen devra être approuvé par les ministres de l’Environnement des 28 États membres de l’Union, ce qui prendra plusieurs semaines. La Commission fournira au Conseil et au Parlement européens un rapport d’étape sur les progrès accomplis et la pertinence des objectifs fixés en juillet 2018. Quant au succès global du plan d’action dans la lutte contre le trafic de la faune et de la flore, il sera évalué en 2020.
L’Europe, un vaste marché noir pour les produits issus d’espèces sauvages
Les produits illicites les plus souvent saisis dans l’Union européenne, à la fois région de destination, d’origine et de transit, sont :
- des reptiles vivants (tortues, lézards, caméléons, serpents, iguanes, geckos) : plus de 6 000 saisis aux frontières de l’UE entre 2011 et 2014 ;
- des corps, des parties ou des produits dérivés de reptiles : plus de 9 600 saisis entre 2011 et 2014, surtout des produits en cuir et des peaux de serpents, de crocodiles et de lézards ;
- des corps, des parties ou des produits dérivés de mammifères (surtout des peaux, des défenses, de la viande de brousse), notamment d’éléphants (un tiers des saisies d’ivoire mondiales ont lieu en Europe), d’ours, de loups et de grands félins ;
- des oiseaux vivants et des œufs : plus de 500 spécimens saisis (principalement des perroquets, mais aussi des oiseaux de proie) de 2011 à 2014 ;
- des produits médicinaux issus d’animaux (hippocampes, chevrotins porte-musc, pangolins) et de plantes (racine de costus, ginseng d’Amérique, orchidées, bois d’agar, prunier d’Afrique, hoodia et aloe) ;
- des plantes vivantes (orchidées, cactus, euphorbes et cycadales) : environ 78 000 spécimens saisis de 2011 à 2014 ;
- d’autres produits comme les coraux, le caviar, les produits dérivés du bois, les oiseaux et les invertébrés morts.
* Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the regions, EU Action Plan against Wildlife Trafficking, 26/2/2016, https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2016/EN/1-2016-87-EN-F1-1.PDF
** https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2016/EN/1-2016-87-EN-F1-1.PDF#page=8