Depuis une vingtaine d’années, le parasite Toxoplasma gondii est soupçonné de manipuler le cerveau des rongeurs afin qu’ils aient moins peur des prédateurs, et particulièrement des chats. Une étude publiée dans Cell montre qu’au-delà de l’inhibition de la peur vis-à-vis des félins, le parasite de la toxoplasmose diminue l’anxiété générale chez le rongeur infecté, ainsi que son aversion pour un large panel de menaces.
L’objectif du parasite T. gondii est de poursuivre son cycle de développement, en mettant toutes les chances de son côté pour passer du rongeur au prédateur félin. Ainsi, il ne peut se reproduire que dans l’intestin du chat, l’unique hôte capable d’excréter le toxoplasme dans ses fèces et de contaminer ainsi les herbivores, comme le mouton. Rappelons que Toxoplasma gondii peut infecter tout vertébré à sang chaud, y compris l’homme qui s’infecte en mangeant de la viande peu cuite parasitée ou des légumes mal lavés. Cependant, c’est bel et bien dans l’intestin du chat qu’il se reproduit sexuellement et prend la forme d’oocystes, qui se propagent et infectent d’autres animaux. Le toxoplasme peut persister pendant de longues périodes, voire à vie, dans l’organisme de son hôte.
Des observations comportementales menées chez des souris infectées révèlent qu’elles ne cherchent pas à éviter le contact avec un chat ou un rat et s’aventurent plus facilement dans leur environnement. Les scientifiques ont cherché à comprendre pourquoi la manipulation parasitaire se limite à réduire la peur du prédateur. Il n’y a aucune raison évolutive pour que cette manipulation cérébrale se focalise sur les chats en particulier. Le but du parasite est avant tout que le rongeur infecté soit tué et mangé par un autre animal, quel qu’il soit !
Les derniers travaux se sont donc concentrés sur la réponse immunitaire du rongeur infecté, plus particulièrement dans le cortex cérébral, là où se concentrent les kystes parasitaires, même si le processus d’infection et de dissémination observé semble aléatoire. L’analyse du tissu cérébral a révélé la présence de marqueurs de l’inflammation. Or le degré d’inflammation est proportionnel au taux de présence des kystes, et surtout au degré de changement du comportement de l’hôte.
La toxoplasmose est une maladie parasitaire importante en santé animale. Mais il ne faut pas oublier qu’un tiers des humains seraient porteurs de cette infection, dont la prévalence est mondiale. Aux États-Unis, plus de 40 millions de personnes hébergeraient le parasite. En outre, ces dernières années, un lien a été mis en évidence entre sa présence chez l’homme et certaines maladies mentales comme la schizophrénie, la maladie de Parkinson et le trouble bipolaire, voire des accidents de la circulation et des tentatives de suicide. La toxoplasmose est considérée comme l’une des principales causes de décès attribuables aux maladies d’origine alimentaire outre-Atlantique. L’infection pendant la grossesse peut entraîner la mort du fœtus et elle est également une menace pour les patients immunodéprimés, comme les personnes infectées par le virus du Sida. Son impact sur la santé humaine est donc considérable.
Les prochaines études devront donc analyser l’impact réel de la manipulation du cerveau humain par les kystes parasitaires, et leur influence sur les altérations comportementales induites chez l’homme. Notons que l’inflammation dans le cerveau humain est bien plus limitée que celle provoquée chez la souris dans des conditions spécifiques, en laboratoire. Toutefois, une meilleure connaissance de cette neuro-inflammation devrait permettre, à terme, de modifier certains traits de comportement tels que l’anxiété, la sociabilité ou encore la curiosité. Reste que l’effet potentiel d’une infection à T. gondii sur la fonction neuronale chez l’homme ne doit pas être sous-estimé.