Une technologie fondée sur des simulations informatiques, qui exploite l’héritabilité de certains gènes à chaque génération successive, pourrait permettre de mieux gérer les espèces invasives. Une mise en situation a été effectuée auprès des populations d’écureuils gris.
Les espèces invasives font partie des principaux facteurs de perte de biodiversité. Elles influencent les écosystèmes, entrent en compétition pour les ressources alimentaires, occupent des territoires et nuisent aux espèces natives. À l’heure actuelle, les méthodes de contrôle de ces populations par piégeage, empoisonnement ou chasse sont barbares, coûteuses et inefficaces dans l’ensemble pour traiter l’ampleur de l’invasion dans la plupart des cas.
Pour les combattre plus efficacement, des chercheurs de The Roslin Institute au Royaume-Uni proposent d’utiliser le forçage ou guidage génétique. Cette technologie fondée sur le génie génétique permet de forcer un gène à se transmettre, via la reproduction sexuée, avec une quasi-certitude. Le forçage génétique permet donc de favoriser l’héritage d’un gène particulier et d’augmenter sa prévalence dans une population. Basée sur la protéine cas9 (CRISPR associated protein 9), cette technologie révolutionnaire peut être utilisée pour ajouter, couper ou modifier l’ADN d’une espèce entière de manière à provoquer une réduction drastique de sa population, par exemple en réduisant ses capacités reproductives. Les applications sont nombreuses. Elle permet, en théorie, de limiter la propagation d’insectes porteurs de maladies, de contrôler des espèces envahissantes ou d’éliminer la résistance aux herbicides ou aux pesticides de certains organismes.
Pour un déploiement sûr et efficace, il est essentiel qu’un forçage génétique soit à la fois autolimitant et puisse surmonter la résistance évolutive. Les chercheurs ont donc mis à l’épreuve à l’aide de simulations informatiques le HD-ClvR, une nouvelle combinaison de forçages génétiques fondés sur CRISPR qui permet d’éliminer la résistance et de localiser la zone de propagation. L’approche, connue sous le nom de direct inheritance of gender bias (DIGB), pourrait être utilisée pour propager un gène d’infertilité féminine au sein d’une espèce animale ciblée dans les régions où elle provoque des nuisances. Avec le temps, cela conduirait à un déficit de femelles fertiles et à un déclin de la population invasive uniquement dans ces zones ciblées.
À titre expérimental, les chercheurs ont modélisé le HD-ClvR chez l’écureuil gris (Sciurus carolinensis), une espèce invasive au Royaume-Uni, qui entre en compétition avec l’écureuil roux et est responsable de pertes à la fois de biodiversité et économiques. Les résultats montrent que le HD-ClvR pourrait réduire une population ciblée d’écureuils gris de plus de 60 % en dix ans, avec potentiellement la possibilité d’éliminer complètement ces rongeurs de zones spécifiques en vingt ans. L’approche permettrait donc de contrôler efficacement une population envahissante, avec peu de risques pour les autres espèces. Le HD-ClvR se montre ainsi un outil génétique efficace pour la gestion des espèces invasives. Les chercheurs espèrent appliquer à d’autres espèces exotiques non indigènes cette solution prometteuse.