Avec le changement climatique et le réchauffement des mers, l’acide domoïque s’accumule de plus en plus dans les réseaux trophiques des océans. Cette neurotoxine a des conséquences désastreuses sur la faune marine. L’exposition à cet acide aminé augmente notamment de 1,7 fois le risque de maladie cardiaque mortelle chez la loutre de mer. Et cette tendance ne devrait pas ralentir, bien au contraire.
L’année 2020 est tristement historique en matière de changement climatique. Selon l’Organisation météorologique mondiale, elle représente la troisième année la plus chaude jamais enregistrée. La concentration en dioxyde de carbone a atteint des niveaux records et les températures océaniques sont supérieures de 0,075° par rapport à la moyenne de la période 1950-2010.
À lui seul, ce chiffre peut sembler faible, mais ce qui apparaît comme une petite augmentation est en réalité un changement énorme à une telle échelle de volume. En effet, pour qu’une telle température puisse être atteinte, les océans ont dû subir une augmentation de l’ordre de 228 sextillions de joules (soit 228 000 000 000 000 000 000 000). Par comparaison, la bombe atomique qui a dévasté Hiroshima a émis une énergie de 63 000 000 000 000 joules.
Le niveau de chaleur ajoutée dans les océans du monde durant les vingt-cinq dernières années équivaut donc à 3,6 milliards d’explosions atomiques, expliquent les chercheurs. Cette image comparative est d’autant plus forte lorsqu’on la transpose à l’échelle d’une seule année. En 2019, les océans auraient subi une chaleur équivalente à 5 bombes atomiques explosant chaque seconde, jour et nuit, pendant les 365 jours de l’année. C’est comme si chacun des 7,5 milliards d’humains sur Terre pointaient simultanément et sans arrêt un sèche-cheveux sur l’océan…
Mais l’eau n’est pas la seule à subir ce réchauffement. L’océan est un écosystème complexe. Or la faune et la flore marines ne peuvent pas s’adapter aussi rapidement à cette hausse de la température qui menace leur survie. Ainsi, le taux de mortalité augmente chez les poissons, les oiseaux et les mammifères marins.
Les chercheurs se sont notamment intéressés à l’apparition croissante de l’acide domoïque dans les réseaux trophiques. Cette neurotoxine est produite par des efflorescences d’algues nuisibles, qui se potentialisent lorsque l’eau est exceptionnellement chaude. Cet acide empoisonne, entre autres espèces, les crabes et les palourdes, ce qui entraîne des conséquences importantes sur les écosystèmes associés, en particulier celui de leurs prédateurs.
Les loutres de mer, qui sont des consommateurs réguliers de ces crustacés, subissent les effets cardiovasculaires de l’exposition à l’acide domoïque dans les écosystèmes marins. En effet, les chercheurs ont pu montrer que l’exposition à la neurotoxine augmente de 1,7 fois le risque des loutres de mer de mourir d’une maladie cardiaque. Le risque est même 2,5 fois plus élevé chez les animaux dont le régime contient une forte proportion de crabes et de palourdes.
L’étude est la première à démontrer une tendance inquiétante et inattendue : l’exposition à l’acide domoïque est particulièrement néfaste pour les loutres de mer adultes, dont la survie est vitale pour la reproduction et la croissance des populations. Cela ne présage rien de bon pour cette espèce déjà menacée.
Compte tenu de leur biologie unique et de leur régime alimentaire spécialisé, les loutres de mer sont extrêmement vulnérables aux proliférations d’algues toxiques. Ce sont des sentinelles de l’état de l’environnement côtier et des indicateurs étonnants de la présence de l’acide domoïque toxique, qui risque de s’accumuler davantage dans les années à venir et nuire non seulement aux animaux marins, mais également aux populations humaines.