L’agriculture, comme d’autres secteurs de l’économie, est de plus en plus connectée, et en marche vers l’agro-écologie. Dans un contexte mondial de concentration des big datas entre les mains de quelques gros opérateurs, le monde agricole doit rapidement maîtriser et valoriser les mégadonnées numériques qu’il produit, via une stratégie d’innovation ouverte à de multiples acteurs. C’est en tout cas la conclusion du rapport Bournigal* présenté le 10 janvier 2017 à Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, et Axelle Lemaire, secrétaire d’État au numérique et à l’innovation. La mission confiée à Jean-Marc Bournigal, président de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), visait à préparer la mise en place d’un portail de données agricoles (AgGate) et à proposer un plan d’actions pour favoriser l’émergence de nouveaux services et d’un écosystème innovant développés à partir des données de ce portail.
Le rapport souligne l’urgence pour la profession agricole de mettre en œuvre un portail dédié à la mutualisation et à la valorisation des données qu’elle collecte, aujourd’hui peu structurées, pour mieux en rester maître. L’objectif est de faciliter l’accès à ces bases de données et d’accélérer les processus de développement de connaissances, de modèles et de services à l’agriculture. Car le risque est grand de voir ces big datas captées par quelques-uns à leur seul profit pour mieux exercer leur monopole sur les outils d’aide à la décision, par exemple. La diversité des modes de production agricole français est en jeu, estime l’auteur du rapport.
Face à l’intérêt croissant des géants de l’agrofourniture et de ceux d’Internet (Google, Amazon, Facebook et Apple) pour l’agriculture, nouveau domaine d’action après le commerce, la banque et la santé, Jean-Marc Bournigal tire la sonnette d’alarme : « Si l’agriculture française ne met pas tout de suite en place un portail pour gérer ses big datas, elles seront exclusivement aux mains de ces acteurs privés, ce qui nous inquiète pour l’indépendance des agriculteurs et la souveraineté alimentaire. »
Ainsi, le rapport insiste sur la nécessité de proposer une alternative, via un schéma d’innovation ouverte qui permet d’opposer à la puissance de grands opérateurs la multiplicité et l’agilité de petites sociétés, au sein d’un écosystème de nouveaux opérateurs qui favorise la concurrence et les synergies.
Le portail de données spécifiquement agricoles proposé, l’AgGate, disposerait de cinq fonctionnalités :
- un “guichet unique” d’accès qui assurera l’inventaire, le référencement, la recherche et le croisement des jeux de données, publiques et privées, stockés sur les plates-formes de leurs propriétaires ;
- un “magasin numérique” pour un retour rapide vers les fournisseurs de données, offrant des outils de traitement (statistiques, géostatistiques) ou de présentation (cartographie, etc.) et donnant accès gratuitement à des référentiels (par région, secteur, type d’exploitation) ;
- un “cloud agriculteurs” pour héberger leurs données professionnelles ;
- un “espace d’échanges” entre acteurs de la profession agricole (partage d’expériences, de savoir-faire, d’idées, etc.) pour créer une dynamique d’innovation ;
- une “vitrine d’outils d’aide à la décision” assortie d’une évaluation participative où les services existants sur le marché seront présentés et évalués ou commentés par les utilisateurs.
La collecte de données est ainsi conjuguée avec l’ouverture, l’interconnexion et l’animation du portail. La profession agricole sera alors aux commandes d’un outil mutualisé inédit dans le monde, selon le rapporteur, pour favoriser l’innovation ouverte au service de cette agriculture numérique. Le portail adoptera en effet une vision fédératrice des données (regroupées et interconnectées, elles acquièrent une nouvelle valeur via leur réutilisation et la création de connaissances), en rupture avec une vision protectionniste (données considérées comme des biens matériels perdant de la valeur lors de toute réutilisation).
Le portail, qui a donc pour objet de mettre à disposition du public des données et des services numériques, devra concilier performance du moteur de recherche, anonymisation et sécurité. D’ores et déjà, un inventaire des données à mobiliser a permis d’identifier un premier socle d’une soixantaine de bases “qualifiées”, publiques ou privées, le double avec des bases non décrites. Cet inventaire devra en outre être mis à jour régulièrement.
Enfin, le rapport préconise « de mettre en œuvre un plan d’action public-privé pour accompagner le développement du portail, sur la base d’actions dans la dynamique “French Tech” thématisée autour de l’agriculture : appels à projets, concours de start-ups, hackathons, compétition numérique, challenge numérique, etc. Des fonds spécifiques devront être levés pour accompagner ces événements. Enfin, il s’agit d’inscrire le portail dans une perspective d’amélioration continue, soutenue par une recherche dédiée, à financer par la structure porteuse du portail ».
Trois ans seront nécessaires pour rendre opérationnel le portail de données pour l’innovation en agriculture, avec une première phase de construction (12 à 15 mois) suivie d’une phase de lancement (21 à 24 mois). L’investissement nécessaire à sa mise en place est estimé entre 4,8 et 5,4 millions d’euros. L’implication des organisations agricoles et des fournisseurs de données sera essentielle à sa réussite. Une fois le portail français mis en place, un passage à l’échelle européenne est envisagé pour généraliser cette initiative et conforter le leadership de l’agriculture française et européenne dans le monde.
* agriculture.gouv.fr/telecharger/83328?token=010d13fc3b19a76e416730d44b352ac8
Voir aussi le blog http://le-lab.agriculture.gouv.fr/