samedi, décembre 7, 2024
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L’oncologie comparative, un rapprochement entre vétérinaires et médecins

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L’oncologie comparative, un rapprochement entre vétérinaires et médecins

La science a montré à de multiples reprises que les cancers chez l’animal de compagnie et l’homme partagent des similitudes, que ce soit en termes d’apparence, de génétique et de réponse aux traitements. Dans ce contexte, les études chez l’animal bénéficient autant aux patients humains qu’aux animaux. C’est en outre l’occasion de partager des méthodes diagnostiques et thérapeutiques adaptées et innovantes.

 

Malgré les progrès de la médecine, le cancer est devenu la première cause de mortalité humaine dans les pays développés. Mais nous ne sommes pas les seuls à souffrir de cette maladie. Avec des animaux qui vivent plus vieux, en partie grâce à la médecine vétérinaire moderne et à une médicalisation plus importante, le cancer est aussi devenu l’une des causes majeures de mortalité chez le chien et le chat. Ainsi, un chat sur cinq développera un cancer, tout comme un chien sur deux après l’âge de 10 ans.

Bien que le terme de cancer soit utilisé pour décrire plus d’une centaine de maladies apparentées, les similitudes entre les néoplasies animales et humaines sont marquantes. De nombreuses études montrent que les cancers naturels chez les animaux de compagnie, notamment les chiens, partagent de nombreuses caractéristiques avec ceux des patients humains, comme le type histologique, les prédispositions génétiques, les cibles moléculaires, le comportement biologique et la réponse aux thérapies conventionnelles.

 

L’animal de compagnie, un nouveau modèle ?

De par ces homologies frappantes, l’étude des animaux de compagnie atteints d’un cancer est susceptible de fournir des informations et des perspectives distinctes de celles générées par l’étude des cancers humains in vitro ou in vivo en expérimentation animale. Pourtant, les données chez l’animal de compagnie ont longtemps été réservées à la médecine vétérinaire uniquement.

Pour combattre le cancer, les scientifiques travaillent sur des cellules humaines et animales et des animaux de laboratoire avant de se lancer dans des études cliniques chez l’homme, « sans passer, entre les deux, par une étape chez l’animal de compagnie », explique Patrick Mehlen, directeur de recherche au CNRS, codirecteur du Pôle des sciences cliniques au Centre Léon Bérard et directeur adjoint du Centre de recherche en cancérologie de Lyon. Pourtant, pour les cancers humains, les chiens sont des modèles pertinents. « Les souris sont trop petites, vieillissent trop vite et le développement du cancer est trop rapide, en quinze jours seulement, au lieu de plusieurs années chez l’homme. Les similitudes avec les chats et les chiens sont plus probantes. En outre, les animaux domestiques vivent dans le même environnement que leurs propriétaires et sont exposés aux mêmes composants volatiles organiques et autres », souligne Rodney Page, du Flint Animal Cancer Center de l’université du Colorado.

Les chiens vont naturellement développer des cancers spontanés qui apparaissent souvent avec l’âge, dans une population hétérogène. Cette réalité est beaucoup plus proche de ce qui est observé dans les populations humaines, d’autant qu’au niveau moléculaire, plusieurs types de tumeurs présentent des caractéristiques similaires entre les deux espèces. De même, certaines caractéristiques de base de leur système immunitaire ont tendance à être étroitement alignées. Le cancer étant, en partie, un échec de la surveillance immunitaire, ces similitudes sont importantes et particulièrement cruciales pour l’étude des immunothérapies.

Dans les modèles murins, en revanche, les tumeurs sont souvent induites ou greffées, ce qui passe par l’inhibition de leur système immunitaire. La croissance tumorale chez la souris va ainsi suivre une trajectoire différente, dans un microenvironnement modifié par rapport aux tumeurs spontanées. La plupart des souris de laboratoire étant génétiquement proches ou similaires, elles ne vont pas non plus représenter la diversité réelle que peut présenter le développement tumoral au sein d’une population.

Au niveau pratique, la taille et la durée de vie du chien se rapprochent également plus de l’homme que la souris. Il est donc plus facile d’évaluer les effets à long terme d’un médicament ou d’un vaccin. Il n’est pas non plus nécessaire de réinventer les outils cliniques tels que les appareils d’imagerie ou chirurgicaux utilisés en médecine humaine pour mener des études chez le chien, et les échelles de réponse aux traitements sont plus ou moins équivalentes. Les chercheurs peuvent en outre réaliser des biopsies sur les tumeurs canines plusieurs fois, au fur et à mesure de l’avancée du traitement, un atout précieux pour le suivi sur le long terme.

Le chien semble donc un modèle d’étude plus adapté, mais la médecine comparée ne se limite pas à l’espèce canine. Quelques études s’intéressent également au chat. Pourtant, l’approche n’est pas aussi simple. Les félins ont un métabolisme différent et sont également moins disposés à subir des procédures régulières. Pour autant, ils peuvent contribuer à apporter des réponses complémentaires, notamment concernant le carcinome épidermoïde ou les tumeurs mammaires, qui présentent des similitudes avec les cancers équivalents chez l’homme. Ces comparaisons peuvent aussi s’étendre au cheval, chez lequel se développent également des cancers spontanés qui méritent d’être davantage étudiés.

 

Oncologie: un chat sur cinq développera un cancer, tout comme un chien sur deux après l’âge de 10 ans

 

Une comparaison qui bénéficie tant à l’homme qu’à l’animal

Tous les cancers n’ont pas d’équivalences spontanées chez l’animal et l’homme. Mais les chercheurs ont à ce jour identifié au moins sept types tumoraux touchant le chien qui partagent des caractéristiques moléculaires avec les cancers humains. Une douzaine d’essais cliniques chez l’homme portant sur des thérapies anticancéreuses ont directement bénéficié des données cliniques recueillies chez le chien. La valeur ajoutée des études chez l’animal de compagnie est de plus en plus reconnue dans le domaine de la recherche oncologique, notamment en ce qui concerne l’identification des gènes associés au cancer, l’étude des facteurs de risque environnementaux, la compréhension de la biologie et de la progression des tumeurs et, plus important encore, l’évaluation et le développement de nouvelles solutions thérapeutiques.

Ces similarités ont plusieurs avantages. En santé humaine, elles permettent notamment d’étudier de nombreuses maladies mieux, plus rapidement et à moindre coût. Des modèles naturels et spontanés de cancers, utilisés après les études chez la souris mais avant les essais cliniques chez l’homme, pourraient réduire le taux d’échecs de ces essais, affiner l’efficacité des traitements, tout en accélérant le développement de tests et l’approbation des thérapies mises sur le marché. Les cancers ont tendance à progresser naturellement plus vite chez le chien, ce qui veut dire que les résultats des essais cliniques sont également accessibles plus rapidement que pour l’homme. De plus, alors que la médecine humaine est soumise à des règles strictes en matière d’essais cliniques, la médecine vétérinaire bénéficie d’un processus d’approbation moins contraignant, même si les normes éthiques sont strictes.

Mais passer par l’animal pour mieux soigner l’homme profite également aux animaux. La plupart des traitements pour les cancers canins sont des médicaments à usage humain utilisés hors AMM par les oncologues vétérinaires. « À l’heure actuelle, pour traiter les tumeurs cancéreuses chez l’animal, on se contente de prendre ce qui a fait ses preuves chez l’homme. Chez le chien, par exemple, la chimiothérapie est dérivée de celle mise en place chez les patients humains. De façon pragmatique, les chiens reçoivent quasiment le même traitement que l’homme, juste en changeant les doses selon leur taille… Mais cela n’est pas toujours efficace et les animaux ne bénéficient pas ou peu des nouvelles thérapies testées par les laboratoires », explique Patrick Mehlen. Avec l’introduction de phases d’essais chez les chiens, ils profiteraient de traitements plus adaptés et l’arsenal thérapeutique canin augmenterait.

Ainsi, ce serait l’occasion de partager et d’adapter les thérapies et les méthodes diagnostiques innovantes de la recherche humaine à la médecine vétérinaire. Les patients animaux comme humains bénéficieraient d’un panel plus diversifié de solutions thérapeutiques efficaces, à disposition dans des délais plus courts. Mais pour pouvoir tester les traitements humains chez le chat ou le chien, il faudrait encourager une meilleure communication entre les vétérinaires et les médecins. Si les médecines humaine et vétérinaire ont longtemps été considérées comme deux mondes distincts, ce concept devrait commencer à changer.

 

Oncologie: un chat sur cinq développera un cancer, tout comme un chien sur deux après l’âge de 10 ans

 

Une approche interespèces trop longtemps mise de côté

Dans une certaine mesure, cette approche comparative interspécifique n’a rien de nouveau. Les vétérinaires apprennent de leurs homologues médecins depuis toujours. Mais il a fallu quelques décennies avant que cette démarche ne devienne une stratégie bien définie. Les vétérinaires ont commencé à caractériser les tumeurs canines dans les années 1960 et 1970, observant des similitudes significatives entre les chiens et l’homme. Mais ce n’est pas avant les années 1980 et 1990 que trois oncologues vétérinaires pionniers, Edward Gillette et Stephen Withrow de la Colorado State University et Greg MacEwen de l’université du Wisconsin, ont réalisé que les études chez le chien pouvaient servir de passerelle entre les modèles animaux et la pratique clinique.

Gillette fut le premier à utiliser la radio-oncologie chez le chien, tandis que Withrow développa une technique chirurgicale pour traiter les ostéosarcomes tout en préservant les membres qui, plus tard, sera adoptée en oncologie pédiatrique et adaptée aux enfants. MacEwen, quant à lui, étudia une molécule immunostimulante injectable pour traiter l’ostéosarcome canin métastatique. Les résultats positifs de cet essai ouvrirent la voie à des études sur l’efficacité de ce médicament contre l’ostéosarcome chez l’enfant, qui aboutirent à son homologation dans l’Union européenne en 2009.

Mais bien que l’intérêt de l’oncologie comparative soit réel, elle est longtemps restée dans l’ombre. Même aujourd’hui, les connaissances et les ressources issues de la médecine vétérinaire demeurent sous-exploitées, notamment parce que les vétérinaires et les médecins ne partagent pas suffisamment leurs données. En France, « un gros effort est fourni par l’Institut national du cancer (INCa) qui tente depuis quelques années de rapprocher les vétérinaires des oncologues humains, estime Patrick Mehlen. Jusqu’à présent, ils avaient peu de contacts, les premiers faisant partie du ministère de l’Agriculture et les seconds de la Santé. Afin de créer des liens entre eux, nous avons mis en place à Lyon un master d’oncologie dans lequel sont désormais inclus des chercheurs issus des écoles vétérinaires, qui restent isolés des recherches menées dans les services d’oncologie humaine, plus proches des hôpitaux. »

Pour faciliter la communication entre les scientifiques, les médecines et les vétérinaires, il faut repenser la manière dont la science est actuellement catégorisée. L’optimisation des bénéfices de la médecine comparative doit avant tout passer par une approche “Une seule littérature”, afin de briser les barrières entre les espèces dans la façon d’organiser, de recueillir, de citer et de publier en biomédecine. Ce paradigme encouragerait le regroupement de nouvelles communautés de recherche et de collaborations, qui feront progresser la médecine translationnelle. Un avenir dans lequel “One Literature” remplacera les notions rigides et catégorisées de la recherche vétérinaire et médicale actuelle, afin que la médecine translationnelle capitalise pleinement sur le lien essentiel entre la santé animale et la santé humaine.

Mais attention, cela ne veut pas forcément dire mélanger tous les outils et toutes les informations. Il est important d’encourager un regard transversal sur les données, tout en étant conscient des limites. Les modèles animaux ne sont jamais parfaits et la valeur prédictive des résultats doit toujours être interprétée avec prudence. Si l’utilité d’une approche translationnelle est évidente pour certains cancers, toutes les affections humaines naturelles n’ont pas forcément une équivalence chez les animaux de compagnie, comme les maladies coronariennes, les accidents vasculaires cérébraux, ou encore la maladie de Parkinson. De même, le métabolisme de certains médicaments peut fortement diverger (paracétamol toxique chez le chat, par exemple).

Ainsi, les essais cliniques sur les maladies naturelles des animaux de compagnie sont potentiellement à l’origine d’une progression des connaissances chez l’homme, même si à l’heure actuelle, de nombreux essais cliniques vétérinaires ne sont pas directement transposables à ceux menés chez l’homme et manquent de plusieurs caractéristiques importantes, telles qu’une puissance statistique suffisante, une méthodologie randomisée en double aveugle ou encore des groupes de contrôle conséquents. Mais cela n’empêche pas les données issues de la médecine vétérinaire d’avoir une valeur cruciale pour la médecine humaine. Il faut juste savoir comment les interpréter et être conscient des biais.

 

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