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Les pieuvres sont intelligentes : il ne serait pas éthique d’en faire l’élevage

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Les pieuvres sont intelligentes : il ne serait pas éthique d’en faire l’élevage

Un projet d’élevage aquacole de pieuvres dans les îles Canaries permettrait d’élever 3 000 tonnes de pieuvres par an, ce qui signifie que l’on tuerait près de 275 000 individus chaque année.

Dans le cadre de mes recherches, j’étudie l’esprit et l’éthique des animaux. L’expression « culture des pieuvres » peut faire penser à Octopolis et à Octlantis, deux communautés de pieuvres sauvages de Jarvis Bay, en Australie.

À Octopolis, de nombreuses pieuvres se partagent – et se disputent – quelques mètres carrés de fond marin. Dans ces villes aquatiques, les pieuvres forment des hiérarchies de domination et développent de nouveaux comportements : les pieuvres mâles luttent pour le territoire et, peut-être, pour les femelles, en se lançant des objets et en se battant.

Les communautés de pieuvres

Les biologistes ont été surpris de découvrir l’existence de communautés de pieuvres. Ils les ont longtemps considérées comme des animaux solitaires qui interagissent entre eux dans trois contextes spécifiques : la chasse, la fuite et l’accouplement.

Ce qu’Octopolis nous permet d’observer, c’est que ce qui se produit dans la nature existe également chez les pieuvres en captivité : lorsqu’elles vivent dans un environnement de captivité trop dense, les pieuvres forment des hiérarchies de domination.

Dans leur lutte pour le pouvoir, les mâles adoptent une série de comportements antagonistes, notamment en lançant des coquilles de pétoncles pour défendre leur tanière et en s’élevant de manière à prendre l’apparence d’un vampire menaçant. Les pieuvres soumises manifestent leur docilité en affichant des couleurs claires et en prenant des postures corporelles aplaties. En échange de leurs efforts, les individus dominants semblent obtenir un accès aux meilleures tanières et aux femelles.

Un regard sur la vie sociale des pieuvres par le philosophe australien Peter Godfrey-Smith.

Culture animale

Ce qu’on peut observer à Octopolis et à Octlantis constitue une « culture des pieuvres ». L’idée d’une culture animale est apparue après que des scientifiques ont constaté que, dans certains groupes, les animaux accomplissent des actions qu’on ne verrait pas dans d’autres groupes de la même espèce.

L’un des premiers tenants d’une culture animale est le primatologue japonais Kinji Imanishi qui, dans les années 1950, a remarqué qu’un groupe de macaques japonais de l’île de Koshima lavait les patates douces dans l’eau avant de les manger.

Il s’agissait d’un nouveau comportement qu’on ne voyait pas chez les autres groupes de macaques, et les observateurs ont eu la chance d’en découvrir les origines. Un singe nommé Imo a été le premier à laver une patate dans l’eau salée et d’autres l’ont rapidement imité, ce qui a ensuite été repris par toute la communauté.

La notion de culture animale a inspiré une grande partie des travaux ultérieurs de la primatologie japonaise, mais en Europe et en Amérique du Nord, cela n’a guère retenu l’attention avant 1999, après la publication d’un article sur la culture chez les chimpanzés. Depuis lors, des preuves de culture – des comportements typiques d’un groupe appris socialement – ont été observées dans tout le règne animal, y compris chez les poissons, les oiseaux et les insectes.

un groupe de macaques japonais dans un lac vaporeux entouré de neige
Des macaques japonais qui affichaient un comportement social ont influencé une approche culturelle de la primatologie qui s’est ensuite étendue à l’étude d’autres macaques.
(Shutterstock)

Un nouveau type de pieuvre

La proposition de mettre en place un élevage de pieuvres donnera lieu à une nouvelle culture chez les pieuvres, car lorsque des animaux culturels sont réunis, ils créent inévitablement une société. C’est également une occasion de créer un nouveau type de pieuvre : les comportements culturels associés à l’environnement en captivité constitueront une nouvelle niche environnementale qui déterminera leur évolution ultérieure.

Les animaux d’élevage que nous connaissons bien – comme les vaches Angus et les porcs Choctaw – ont été domestiqués et sont totalement différents des individus dont ils descendent.

Beaucoup de nos animaux domestiques ne pourraient survivre sans que des êtres humains en prennent soin. Citons les lapins domestiques, qui ont évolué sans les instincts ni la couleur de robe des lapins sauvages, éléments qui les protègent des prédateurs, les moutons dont la laine devient trop épaisse s’ils ne sont pas régulièrement tondus et les poulets élevés pour leur viande qui ne peuvent marcher à l’âge adulte parce que leur poitrine est trop lourde.

En démarrant un élevage de pieuvre, on crée un nouveau type d’animal dont l’existence dépend de l’homme. Ce n’est pas une idée à prendre à la légère ni un projet que l’on peut, de manière responsable, tenter, puis abandonner s’il s’avère trop difficile ou non rentable.

Gérer les populations de pieuvres

Il existe de nombreuses raisons de craindre que les élevages de pieuvres soient difficiles à gérer. Contrairement à d’autres animaux d’élevage, les pieuvres ont besoin de leur espace. Octopolis est déjà un champ de bataille de pieuvres qui s’affrontent ; on ne peut que se demander à quoi cela ressemblera avec des milliers d’individus.

Les pieuvres sont sensibles – ce sont des animaux émotifs qui ressentent la douleur. Un rapport commandé par le ministère de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales du Royaume-Uni a analysé les preuves scientifiques de la présence de douleur chez les mollusques céphalopodes (pieuvres, calmars et seiches).

Les animaux sensibles utilisés pour l’alimentation sont protégés par des lois sur le bien-être et tués de manière à minimiser leur douleur. Parmi les méthodes actuelles pour abattre les pieuvres, on trouve le matraquage, le découpage de la cervelle et l’asphyxie. Les auteurs du rapport concluent qu’aucune de ces méthodes n’est humaine et recommandent de ne pas pratiquer l’élevage des pieuvres.

Les pieuvres sont des spécialistes de l’évasion. Le type d’habitat dont elles ont besoin est difficile à réaliser, surtout si on lui fournit un milieu enrichi, car il sera forcément plein de voies de fuite possibles.

une pieuvre pressée contre le verre d’un bac d’aquarium
Les pieuvres sont réputées pour leur capacité à s’échapper des bassins.
(Shutterstock)

Si l’on démarre un élevage de pieuvres, puis qu’on l’abandonne, on ne peut relâcher dans la mer les milliers de pieuvres domestiquées et s’attendre à ce qu’elles survivent. Les nombreuses tentatives coûteuses de libérer Keiko, l’orque qui jouait dans le film Mon ami Willy, nous ont appris qu’il n’est pas facile de réintroduire avec succès un animal culturel dans la nature. Même après qu’on ait dépensé 20 millions de dollars américains, Keiko a fini par mourir en captivité.

Le projet de réunir des milliers d’individus dans une mégalopole de pieuvres ferait sans doute évoluer la culture des pieuvres bien au-delà de ce que l’on peut trouver dans la nature ou en captivité. Cela créerait des centaines de milliers de Keiko, des animaux culturels aquatiques capturés dans la nature et placés en captivité, et les obligerait à vivre ensemble et à développer une nouvelle culture dans ce qui sera certainement un bidonville violent.

Maintenant que nous savons que les pieuvres ressentent des émotions et ont une culture, nous commençons à repenser les pratiques actuelles d’élevage intensif.

Ce n’est pas le bon moment pour proposer un tel projet. Nous devons faire preuve de discernement.The Conversation

Kristin Andrews, Professor, Philosophy, York University, Canada

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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