L’émergence de maladies infectieuses chez l’humain prend sa source principalement du monde animal. Accéléré par l’exploitation de la Terre et ses ressources, ces phénomènes zoonotiques pourtant connus et surveillés prennent de l’ampleur. Les instances mondiales incitent à une vigilance accrue pour anticiper de nouveaux évènements avant qu’ils ne gagnent en envergure.
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La menace des zoonoses
Chaque année, quelque 2,5 milliards de personnes, principalement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, tombent malades suite à une maladie d’origine animale, dite zoonotique, et 2,7 millions en meurent.
Ces maladies partagées entre les animaux et les humains constituent l’un des plus grands dangers pour notre santé publique et pour l’économie mondiale. Les mêmes épidémies peuvent provoquer des maladies graves chez l’humain mais aussi l’animal, ayant pour conséquence des pertes en productivité pour les élevages et les fermes. Au cours des deux dernières décennies seulement, les maladies zoonotiques ont causé des pertes économiques de plus de 100 milliards de dollars. Et ce, sans inclure le coût de la pandémie de COVID-19, qui devrait atteindre 9 trillions de dollars au cours des prochaines années.
Et pourtant nos solutions pour lutter contre l’apparition de ces pathologies chez l’humain sont encore fragiles. Les instances mondiales se mobilisent autour du concept OneHealth pour essayer de ralentir l’émergence de nouvelles maladies. La santé de l’humanité est intrinsèquement liée à la santé de l’environnement, de la biodiversité et des animaux.
En effet, 60% des maladies infectieuses émergentes sont d’origine animale. Au cours des 3 dernières décennies, une trentaine de nouveaux pathogènes humains ont pu être identifiés, et 75% d’entre eux sont d’origine animale.
Les animaux sont donc une source indéniable de nouveaux pathogènes humains, et tout particulièrement les virus.
Bien que les virus ne représentent qu’une fraction des ∼1400 agents pathogènes humains connus, leur répercussion sur la santé mondiale est disproportionnée et bien plus importante. Les coronavirus, dont on parle tant, transmis de la chauve-souris au dromadaire (MERS), à la civette (SARS-CoV-1) ou au pangolin (à confirmer pour SARS-CoV-2) puis à l’humain ne sont que la pointe de l’iceberg. Il ne faut pas oublier le VIH qui a des origines chez les primates non humains, l’Ebola chez la chauve-souris ou encore les souches grippales H5N1 et H1N1 qui proviennent respectivement d’oiseaux et de porcs. La liste est longue. Environ 89% des 180 virus à ARN reconnus susceptibles de nuire aux humains sont zoonotiques.
Et avec l’utilisation et l’exploitation accrues de la faune, l’augmentation de l’agriculture intense et non durable, et la fameuse crise climatique, cette tendance est loin de s’inverser. La récente pandémie COVID-19 nous le rappelle que trop bien.
Biodiversité, bétails, faune sauvage et épidémies – OneHealth
– Le bétail, pont épidémiologique
Au niveau mondial, une augmentation de l’émergence de maladies infectieuses et d’épidémies, semble corrélée à une perte accélérée de la biodiversité et une augmentation importante de la production d’animaux domestiques – et non sans lien.
En croisant plusieurs bases de données ouvertes sur les santés humaine et animale, l’augmentation du bétail et la perte de biodiversité, une analyse montre que le nombre d’épidémies répertoriées chez les humains dans chaque pays augmente en corrélation avec la perte locale de biodiversité.
L’émergence d’épidémies serait alors un marqueur inquiétant pour la conservation des espèces – qui n’est pas en bonne voie.
Et si la relation entre le nombre d’espèces en danger et celui des épidémies augmente jusqu’à atteindre un pic avant de diminuer, le risque épidémique, en revanche, ne diminue pas avec la disparition des espèces. Au contraire, il est relayé par l’augmentation du bétail.
En effet, l’accroissement du bétail sur l’ensemble de la planète impacte directement la faune sauvage et le nombre d’épidémies chez l’homme et l’animal domestique. Il tient une place en tant que pont épidémiologique favorisant le passage des agents infectieux du monde animal à l’espèce humaine. L’enjeu est donc double.
Mais si le bétail est en contact rapproché avec les populations humaines et peut être un vecteur privilégié de pathologie, c’est de la faune sauvage qu’émane la majorité des zoonoses. Environ 70% des maladies infectieuses émergentes, proviennent plus spécifiquement des animaux sauvages.
– La faune sauvage source d’une diversité plus importante de pathogènes
Les risques d’émergence associés au commerce d’espèces sauvages demeurent le plus grand défi non relevé des efforts actuels d’épidémiosurveillance.
L’exploitation incontrôlée de la faune – que ce soit à des fins personnelles ou pour le profit, légal ou non – met les humains en contact direct avec une myriade d’espèces inconnues. Et les animaux sauvages importés, chassés, ou élevés puis transportés sur les marchés de la faune sont souvent entreposés dans des conditions qui favorisent la transmission de maladies. Surpopulation, saletés et non-respect des règles d’hygiène et sécurité favorisent un état de stress et d’immunodépression chez l’animal et la transmission des maladies.
Des normes d’hygiène et sécurité peu respectées et un contact rapproché entre des espèces sauvages non endémiques et l’humain suffisent à créer un hotspot zoonotique. Et bien que la Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (CITES) réglemente le commerce international des espèces sauvages, de nombreux marchés dans le monde répondent à ces critères alors que la surveillance des maladies y est largement absente.
Seuls quelques pays utilisent des contrôles vétérinaires stricts à l’importation. Et, à ce jour, il n’existe toujours pas de réglementation mondiale sur le dépistage des agents pathogènes associé au commerce international des espèces sauvages.
Pourtant l’épidémio-surveillance des agents pathogènes et l’interaction avec la faune sont au cœur de la gestion des risques et de la réponse aux pathogènes émergents.
Une surveillance épidémiologique à renforcer
– Plusieurs décennies de surveillance
La menace des pathologies émergentes zoonotique ne date pas d’hier. Cela fait plusieurs années que les chercheurs s’attellent à identifier les pathogènes les plus à risques et prédire les émergences chez l’humain afin de mieux les contrôler.
En 2009, l’United States Agency for International Development (USAID) met en place le projet PREDICT dans l’optique de détecter et découvrir des virus zoonotiques à potentiel pandémique. En 10 ans, 164000 animaux et humains ont été dépistés et 949 nouveaux virus dans des zones zoonotiques à travers 30 pays détectés. Et dans les 10 prochaines années, les chercheurs espèrent séquencer toutes ces souches virales afin de renforcer les connaissances sur les pathogènes à l’interface entre l’humain et l’animal.
Mais les efforts de surveillance épidémiologiques ne sont encore complètement au point. Faute de ressources et d’argent, et malgré l’importance planétaire des conséquences, ils sont souvent relayés au second plan.
– Mais une surveillance incomplète et mal distribuée
Selon l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), seuls 125 laboratoires de référence sont certifiés pour dépister les agents pathogènes en question et leur distribution ne reflète pas les risques d’émergence. Et ils ne sont pas distribués en fonction des risques mais plutôt des volontés politiques.
Ainsi, l’Asie du Sud-Est, l’Afrique et l’Amérique centrale et du Sud, qui pourtant sont plus à risques d’arborer une émergence zoonotique, n’abritent que 38% des laboratoires de référence. Bien que les chiffres quantitatifs ne tiennent pas compte des moyens, ni de l’ampleur de ces infrastructures, il est évident que certains hotspots zoonotiques manquent d’installations capables de mener à bien une surveillance efficace.
En contrepartie, certains pays se tournent vers une biosurveillance centralisée, qui est souvent couteuse, et soumise à l’humeur politique des pays en charge. Et en tant que telles, ces solutions ne sont pas applicables à grande échelle.
Selon les personnes compétentes, et étant donnés les enjeux mondiaux que sont les pathologies émergentes, un système de surveillance décentralisé est à privilégier. Cela permettrait aux professionnels locaux de la faune et de la santé publique de dépister les maladies tout au long de l’année, à la source.
Un tel dépistage n’était pas technologiquement réalisable après l’émergence du virus de la grippe H1N1 en 2009. Mais les technologies modernes et maintenant abordables, permettent dorénavant un traitement rapide des échantillons biologiques in situ, le séquençage du génome entier, ou encore le traitement métagénomique des agents pathogènes.
Un dépistage large, systématique et surtout proactif des agents pathogènes peut être envisagé à grande échelle, autant dans les régions éloignées que les zones centrales.
– Valoriser une surveillance préventive
L’accent doit particulièrement être mis sur l’aspect préventif de ces dépistages, autant chez l’animal que l’humain.
En effet, trop souvent ils débutent en réponse à une flambée épidémiologique chez l’humain. Mais leur importance réside surtout dans la surveillance locale, en amont et régulière des familles de pathogènes à risques. Il est important de capturer la circulation précoce d’agents zoonotiques entre les humains et les animaux qui sont souvent difficilement identifiables dans les premiers stades d’un évènement de débordement épidémiologique.
Pour le rendre cette surveillance la plus efficace possible, une base de données publique mondiale sur les caractéristiques et les populations des pathogènes à risque permettrait de suivre en temps réel les évolutions et les changements dans les populations de pathogène. Des données par souches, hôtes et régions autant que des changements d’hôtes, de taux de mutations ou de réservoir pourraient être renseignés afin d’alerter de manière globalisée et rapide.
Anticiper pour mieux atténuer
Cependant, même en connaissance de cause, ces armes ne sont parfois pas suffisantes. Impossible, par exemple, de nier la menace des coronavirus. Et bien qu’elle ait été identifiée en amont, cela n’a pas empêché la pandémie de prendre de l’ampleur.
En effet, après que les chauves-souris aient été reconnues comme des réservoirs de nombreuses zoonoses telles que Hendra, Nipah, SRAS, MERS et Ebola, leur surveillance fut renforcée. Le contrôle d’une grotte dans le sud-ouest de la Chine entre 2011 et 2015 révéla 11 nouveaux coronavirus. Suite à cette observation, 1497 personnes furent testées entre 2015 et 2017 dans les districts environnants du Yunnan, du Guangxi et du Guangdong en Chine et 9 (0,6%) revinrent positifs pour des anticorps de coronavirus de chauve-souris.
Un avertissement, prévenant du potentiel pandémique des coronavirus de chauves-souris dans cette région, fut publié en Septembre 2019. Mais vraisemblablement, celui-ci ne suffit pas à arrêter la pandémie qui suivit, malgré tous les indicateurs qui pointaient en direction d’un évènement zoonotique.
Preuve donc qu’un fossé existe toujours entre la recherche, la surveillance et la réponse réelle des mesures de sécurité pour anticiper et atténuer une possible émergence. Des défaillances que les instances mondiales souhaitent limiter, particulièrement à l’aube des difficultés qui semblent pressenties.
Le Programme Environnement des Nations Unis United Nations Environment Programme (UNEP) et l’Institut International de recherche sur le bétail (ILRI) ont récemment publié un rapport Preventing the Next Pandemic: Zoonotic diseases and how to break the chain of transmission. Celui-ci identifie 10 mesures que les gouvernements peuvent mettre en place afin de limiter les futures épidémies zoonotiques :
- Investir dans des approches interdisciplinaires, y compris One Health ;
- Élargir la recherche scientifique sur les maladies zoonotiques ;
- Améliorer les analyses bénéfices/coûts des interventions en incluant le coût complet des impacts sociétaux de la maladie ;
- Sensibiliser aux zoonoses ;
- Renforcer les pratiques de surveillance et de réglementation associées aux maladies zoonotiques, y compris dans le milieu agro-alimentaire ;
- Encourager les pratiques de gestion durable des terres et développer des alternatives à la sécurité alimentaire et aux moyens de subsistance qui ne reposent pas sur la destruction des habitats et de la biodiversité ;
- Améliorer la biosécurité et le contrôle des pathogènes, identifier les principaux facteurs de maladies émergentes dans les élevages et encourager les mesures éprouvées de gestion et de contrôle des maladies zoonotiques ;
- Soutenir la gestion durable des paysages terrestres et marins qui améliorent la coexistence durable de l’agriculture et de la faune sauvage ;
- Renforcer les capacités des acteurs de la santé dans tous les pays ; et
- Opérationnaliser l’approche One Health dans l’organisation, la mise en œuvre et le suivi de l’utilisation des terres et du développement durable, entre autres.
Une nouvelle vision épidémiologique intégrant des valeurs associées aux animaux sauvages comme domestiques, et à l’environnement dans lequel nous vivons semble donc nécessaire pour diminuer les risques sanitaires et protéger la biodiversité. Une chose est sure, si l’humanité continue à exploiter la faune et la flore et à détruire nos écosystèmes, la pandémie COVID-19 ne sera pas la dernière. Il faudra s’habituer aux évènements zoonotiques dévastateurs, quel que soit notre niveau de surveillance.