
Pendant la pandémie de Covid-19, des milliers de familles ont accueilli un chiot en pensant offrir aux enfants un soutien émotionnel immédiat. Une étude récente du Royal Veterinary College brosse un tableau nuancé : si la présence d’un jeune chien procure souvent du réconfort, structure la vie quotidienne et facilite les interactions sociales, elle s’accompagne aussi d’une charge réelle pour les parents, parfois à l’origine de frictions au sein du foyer. Environ un tiers des familles rapportent que l’élevage d’un chiot s’est révélé plus difficile que prévu.
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Une adoption à visée récréative pour les enfants
La pandémie a bouleversé le quotidien : fermeture des écoles, isolement, incertitude et anxiété ont pesé sur le bien-être des plus jeunes. L’adoption d’un chiot a alors semblé une réponse “évidente” pour recréer une routine, remettre le corps en mouvement via les promenades, et réintroduire le jeu et les caresses dans des journées saturées par les écrans. La littérature sur l’attachement humain-animal suggérait déjà des effets positifs sur la solitude et l’affect, mais l’ampleur du phénomène, sa temporalité et ses effets concrets dans un contexte de crise sanitaire restaient à documenter.
Les impacts réellement mesurés
Les chercheurs ont interrogé des familles britanniques ayant accueilli un chiot pendant ou juste avant la pandémie. Le protocole combinait des questionnaires standardisés et le recueil qualitatif d’expériences vécues auprès d’adultes aidants et d’enfants de 8 à 17 ans. Les questions portaient sur l’humeur, l’anxiété, le sommeil, l’organisation familiale, la répartition des soins, ainsi que sur les comportements canins typiques au cours des premiers mois (propreté, vocalisations, mordillements, marche en laisse). Cette approche mixte a permis de mettre en regard les bénéfices perçus et les contraintes réelles, en réduisant le biais d’idéalisation fréquent dans les témoignages après l’adoption d’un animal.
Des bénéfices concrets mais hétérogènes
Dans la plupart des foyers, l’arrivée du chiot a été associée à davantage de réconfort et à un ressenti de sécurité émotionnelle chez les enfants. La simple présence d’un animal affectueux, joueur et qui sollicite l’attention a servi de point d’ancrage dans des journées parfois monotones. Les promenades ont réintroduit une activité physique légère mais régulière, et la socialisation autour du chien (voisins, autres chiens, éducateurs) a réactivé des liens mis en sommeil. Plusieurs familles décrivent une atmosphère plus chaleureuse au sein du foyer et une plus grande inclinaison de l’enfant à se confier pendant qu’il caresse l’animal. Ces effets bénéfiques, bien que non uniformes, sont apparus comme inhérents à la cohabitation avec un chien.
Le coût invisible de la relation enfant-chiot
La médaille présente toutefois un revers. Les premiers mois d’un chiot exigent un investissement soutenu : apprentissage de la propreté, gestion des réveils nocturnes, éducation à ne pas mordiller ou aboyer, sorties par tous les temps, etc. À cela s’ajoutent les contraintes financières (frais vétérinaires, alimentation, accessoires, etc.) et la nécessité de réorganiser l’emploi du temps familial. Dans les foyers où les attentes initiales étaient élevées, la réalité s’est révélée décevante : un chiot n’apaise pas l’anxiété en quinze jours, n’améliore pas magiquement le sommeil et réclame une cohérence éducative que la fatigue met à mal. C’est cette charge mentale parentale, souvent sous-estimée, qui transforme parfois l’outil de réconfort en source de tensions, surtout lorsque la répartition des tâches n’a pas été clarifiée au préalable.
Trois ressorts décisifs
Le premier est l’ampleur des attentes : les familles qui envisagent l’animal comme un soutien affectif complémentaire plutôt que comme un remède miracle acceptent mieux les aléas et les progrès en dents de scie. Le second ressort concerne l’anticipation de l’organisation au sein du foyer : les familles qui s’en sortent mieux ont décidé, avant l’adoption, qui se lèvera la nuit, qui fera les sorties même par temps de pluie, qui prendra en charge l’éducation au quotidien, etc. Les familles qui ont adopté ces règles dès l’adoption, puis qui les ont réajustées au fil des semaines, ont réussi à maintenir un climat plus serein. Le troisième ressort est le recours à l’aide d’un professionnel : l’éducation canine précoce, fondée sur le renforcement positif et la gestion des émotions, réduit rapidement les comportements problématiques et, par ricochet, la tension familiale. Elle offre également aux enfants un cadre cohérent pour comprendre le langage du chien, éviter les situations de conflit et s’approprier les bons gestes.
Implications en matière de santé publique
Du point de vue de la santé humaine, l’adoption d’un chiot ne doit jamais être présentée comme une solution de première intention face à des difficultés psychiques. En revanche, elle peut s’inscrire dans un plan de soutien global, aux côtés d’un suivi psychologique, de bonnes routines de sommeil et d’une activité physique adaptée. Si la présence d’un animal offre un cadre émotionnel sécurisant, elle requiert de la constance et de la patience. Les vétérinaires et les éducateurs canins peuvent ainsi proposer des activités pédagogiques en famille (école du chiot), repérer précocement les signes d’un stress comportemental et orienter vers des ressources fiables. Ce suivi interprofessionnel renforce la durabilité des bénéfices et protège l’animal comme l’enfant.
Limites des données recueillies
L’étude repose sur des déclarations, soumises à des biais de mémoire et de désirabilité sociale. Les auteurs appellent donc à réaliser des mesures plus objectives, en amont et en aval de l’adoption, via des échelles validées d’anxiété, d’humeur et de sommeil chez l’enfant, et par un suivi journalier des comportements canins via des capteurs d’activité et de suivi longitudinal chez l’animal. Répliquer ces travaux dans d’autres contextes, urbains et ruraux, et selon des niveaux socio-économiques variés, permettra de mieux comprendre les conditions nécessaires à une relation homme-animal apaisée et durable.
Lors de la pandémie, les chiots ont offert un soutien émotionnel bien réel à de nombreux enfants, et redonné une structure au quotidien. Mais ces bénéfices ont coexisté avec des contraintes prévisibles, surtout lorsque l’adoption s’est faite dans l’urgence ou avec des attentes irréalistes. Entre l’image du chien “soutien émotionnel” et la réalité du chien “source de stress”, l’écart peut être comblé par la sensibilisation des adoptants aux soins à prévoir, par la répartition des rôles au sein de la famille et par l’aide d’un professionnel en cas de besoin. C’est à ce prix-là que la relation enfant-chien peut contribuer durablement à la santé mentale, au bien-être animal et à l’équilibre familial.