Le chien possède un odorat bien plus développé que l’homme. Ses aptitudes olfactives lui permettent même de détecter des changements imperceptibles, précurseurs de la maladie. Les chiens dressés à cet effet peuvent reconnaître un cancer, prévoir une crise narcoleptique ou encore identifier une infection. Mais malgré un taux de réussite indéniable, le chien peine à trouver sa place dans le milieu médical en France.
Les chiens sont reconnus pour leur odorat. Leur bagage génétique olfactif et leur physiologie sont parfaitement adaptés à l’olfaction de pointe. Avec environ 220 millions de récepteurs, au lieu de 5 millions chez l’homme, le nez des chiens est dix mille fois plus précis que celui de leurs maîtres. Ils sont capables de détecter des substances à des concentrations d’une partie par billion, ce qui est l’équivalent d’une goutte dans vingt piscines olympiques !
Mais ce n’est pas leur seul atout. Les chiens peuvent aussi sentir en stéréo, c’est-à-dire que leur nez sait faire la différence entre les narines droite et gauche. Ils inhalent l’air jusqu’à trois cents fois par minute, avec une fréquence respiratoire courte, ce qui signifie que leurs cellules olfactives sont constamment alimentées en nouvelles particules odorantes. L’homme a su tirer parti de ces aptitudes affûtées pendant des siècles, pour chasser, pour explorer et pour chercher des personnes, des explosifs, des drogues, et désormais des maladies.
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Un diagnostic via un dépistage olfactif
En effet, l’odorat des chiens est si subtil qu’ils peuvent identifier le moindre changement physiologique chez leurs compagnons bipèdes, y compris ceux dus à la maladie. Les plus infimes fluctuations hormonales, qui libèrent des composés organiques volatils, sont ainsi repérées par le chien. Les chercheurs ont donc pensé à utiliser cette aptitude et à former des chiens à reconnaître les marqueurs olfactifs de certaines maladies, qui peuvent même passer inaperçus lors des tests médicaux de routine.
Les études portant sur les capacités de détection des cancers sont parmi les plus médiatisées. Les chiens peuvent en effet être dressés à reconnaître plusieurs néoplasies, dont le cancer de la peau, du sein, ou encore de la vessie. En 2006, cinq chiens ont ainsi été formés à dépister un cancer à partir de l’haleine des patients. Et ils le font avec une exactitude exceptionnelle : 88 % de précision pour le cancer du sein et 99 % pour le cancer du poumon. Plus récemment, une étude montre que les chiens pouvent même repérer des marqueurs de cancers avec une précision de 97 % grâce à des échantillons de sang prélevés chez les malades.
Et ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses études sur la question. Ces résultats pourraient conduire à de nouvelles approches en matière de dépistage du cancer, peu coûteuses et précises, sans être invasives. Les chiens pourraient sauver des milliers de vies en détectant précocement une maladie dont l’efficacité du traitement et le taux de létalité dépendent en grande partie de la rapidité de la prise en charge.
Mais ces aptitudes olfactives vont bien au-delà du champ de la cancérologie. Les chiens sont capables de détecter de nombreuses autres maladies, telles que le paludisme. Les chercheurs ont montré que ces animaux peuvent identifier correctement, avec une précision de 70 %, les enfants infectés par les parasites en cause juste en reniflant les chaussettes qu’ils avaient portées toute une nuit.
Outre le cancer et le paludisme, la maladie de Parkinson est également sur la liste des affections qui peuvent se détecter à l’odeur. Le “parfum” des patients change, même des années avant l’apparition des premiers signes cliniques. Les chiens pourraient donc être utilisés pour détecter la maladie précocement, un élément essentiel dans la prise en charge des patients. Ces derniers seraient alors traités de façon préventive, pour bloquer l’évolution de l’infection avant qu’elle ne devienne trop sévère.
Sentir les signes avant-coureurs de la maladie
Cette capacité de prédire la survenue de la maladie, avant son développement, est une prouesse que la science peine à reproduire efficacement. Pourtant, agir en amont permet souvent de gagner du temps sur la maladie, de la ralentir et d’améliorer la qualité de vie des patients.
Les chiens peuvent notamment prévoir une crise d’épilepsie ou de narcolepsie. Deux événements qui peuvent se révéler dangereux s’ils arrivent au mauvais endroit ou au mauvais moment. Une étude publiée en 2013 révèle que, dans 11 cas sur 12, les chiens dressés ont reconnu à l’odeur les changements biochimiques liés à une crise narcoleptique. Mais surtout, ils ont été capables d’avertir le patient jusqu’à cinq minutes en amont de la crise, afin d’éviter toute blessure. Les données sur l’épilepsie sont plus controversées. Si une petite étude en 2019 montre que les chiens savent discriminer une “odeur d’épilepsie”, certains auteurs suggèrent plutôt qu’ils réagissent aux crises psychologiques plutôt qu’épileptiques de leurs maîtres.
Les chiens aident également de plus en plus les personnes diabétiques. Ils peuvent les prévenir quand leur taux glycémique sanguin baisse ou augmente. Ils savent en effet détecter l’isoprène, un produit chimique naturel présent dans l’haleine qui augmente considérablement pendant un épisode hypoglycémique.
De la même manière, les chiens peuvent prévenir de l’apparition de maux de tête, en détectant l’odeur de la sérotonine, une molécule qui monte en flèche lorsque le corps est sur le point de déclencher une migraine. Pour ceux qui en souffrent, un avertissement en amont peut faire la différence entre de légers symptômes, grâce à un traitement préventif, et des douleurs invalidantes. 54 % des propriétaires de chiens sujets aux migraines disent avoir déjà remarqué des changements de comportements chez leurs compagnons pendant ou avant des crises. Et pour près de 60 % d’entre eux, leur chien les avait alertés une à deux heures à l’avance.
Des chiens renifleurs de Covid-19
Le dernier objectif des chiens renifleurs est de lutter contre le nouveau coronavirus. Les chercheurs placent de grands espoirs dans le chien, car les maladies respiratoires comme la Covid-19 modifient notre odeur corporelle. Il y a donc de fortes chances pour que les chiens puissent détecter la nouvelle maladie. Dans une étude pilote menée à l’université d’Helsinki, des chiens ont appris à reconnaître la signature olfactive de l’infection par le coronavirus Sars-CoV-2 dans l’urine de patients, avec une fiabilité équivalente à celle d’un test PCR standard. Avant d’être en mesure d’utiliser les tests olfactifs en pratique clinique, des scientifiques finlandais préparent actuellement une étude randomisée en double aveugle dans laquelle les chiens seront soumis à un plus grand nombre d’échantillons.
Dès la fin avril 2020, la brigade canine de l’école nationale vétérinaire d’Alfort se mettait également à la tâche, avec des résultats de dépistage plus que concluants à partir de la sueur des patients. Le taux de réussite d’un dépistage canin de la Covid-19 se situe entre 90 et 99,5 %. En tant que nouvel outil de diagnostic, les chiens pourraient donc révolutionner, à court terme, la réponse à l’épidémie actuelle. Un dépistage rapide, efficace, non invasif, mais surtout une détection ciblée dans une population, même de personnes asymptomatiques, pourrait avoir un énorme impact sur la gestion rapide et de masse de la maladie.
Cependant, même si l’idée est jugée prometteuse par l’ensemble des experts et s’exporte même à l’étranger, en France, elle a du mal à décrocher des fonds publics pour passer à la vitesse supérieure. Le projet manque cruellement de moyens pour faire aboutir ce test gratuit, non invasif, immédiat et illimité, alors que certains pays comme le Liban, la Finlande et les Émirats arabes unis sont déjà passés à la phase opérationnelle.
Les chiens médecins, ce n’est pas pour demain
Bien qu’étude après étude, l’utilité des chiens en clinique soit validée pour détecter, dépister et prévenir la maladie chez l’homme, leur présence dans les laboratoires pour remplacer les tests standards n’est pas pour tout de suite. Trop d’incertitudes subsistent autour des molécules odorantes en jeu. Identifier ces dernières permettrait de standardiser et de cadrer la détection et l’entraînement des chiens renifleurs. Mais, même dans ce cas, le scepticisme de la communauté médicale en France pourrait prévaloir. Tous les médecins ne voudront pas se fier à un chien pour établir un diagnostic, malgré une efficacité prouvée. Des études complémentaires devraient toutefois aider à convaincre les réticents, par exemple dans le cadre d’un processus de dépistage préliminaire.
En attendant, les chercheurs veulent automatiser les étonnantes capacités olfactives des chiens dans un appareil compact. Une équipe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) a mis au point un système capable de détecter le contenu chimique et microbien d’un échantillon d’air avec une sensibilité deux cents fois plus élevée que le nez d’un chien. Mais sa capacité d’apprentissage est nulle. Ils ont donc associé le boîtier à une technologie d’apprentissage automatique qui lui octroierait la capacité d’apprendre à identifier et à reconnaître les échantillons de malades. Selon les chercheurs, ces résultats pourraient un jour aboutir à un système olfactif automatisé suffisamment petit pour être intégré à un téléphone portable.
Dans le futur, les chiens dans les laboratoires pourraient donc avoir moins de poils et plus de métal. Mais ces nez robots sont chers, et coûtent environ 1 000 $ par échantillon à tester et à documenter. La solution naturelle est donc encore bonne à considérer, même si certains restent à convaincre.