Le tribunal administratif de Versailles, par deux jugements du 30 juin 2015, a annulé les autorisations de mise sur le marché (AMM) du Cruiser 350 (maïs) et du Cruiser OSR (colza), deux insecticides neurotoxiques à base de le thiaméthoxam, pour violation par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et le ministre de l’Agriculture de la méthode légale d’évaluation des risques pour les abeilles. L’État est condamné à payer des indemnités au Syndicat national de l’apiculture et à l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf).
Le tribunal de Versailles, désormais compétent pour ce type de contentieux qui ont été retirés au Conseil d’État, a jugé que l’agence « n’a pas respecté la méthodologie des quotients de dangers » pour évaluer l’exposition des abeilles à ces produits systémiques, par contact ou par voie orale (DL 50). Ainsi, « l’appréciation à laquelle s’est livrée l’Anses et sur le fondement de laquelle le ministre a pris la décision contestée repose sur une méthode d’évaluation du risque qui n’est pas conforme à celle qu’exige la réglementation ».
Selon l’Unaf, « l’Anses et le ministre de l’Agriculture ont en effet frontalement refusé d’appliquer la méthode légale pour parvenir à des autorisations qui n’auraient jamais dû être accordées ». Et cela dure depuis une vingtaine d’années. « Une nouvelle fois, c’est bien le refus d’évaluer le risque pesticide d’un néonicotinoïde (thiamétoxam), conformément à la loi, qui est stigmatisé par les juges administratifs, comme le Conseil d’État l’a déjà fait à de multiples reprises pour les différents produits à base d’imidaclopride (Gaucho) ou de fipronil (Regent), qui sont aujourd’hui interdits ». Dans son communiqué, l’Unaf s’inquiète en outre du fait que « ces jugements, qui sanctionnent des évaluations délibérément illégales, interviennent au moment même où la loi d’avenir pour l’agriculture décide de réunir, dans les seules mains de l’Anses, les pouvoirs d’évaluation et d’autorisation des pesticides agricoles sur le territoire national, déchargeant le ministre de toute décision politique ».
En effet, depuis le 2 juillet 2015, l’Anses délivre les AMM des produits phytopharmaceutiques à la place du ministère de l’Agriculture, en plus de sa mission d’évaluation. Ce transfert de compétence, prévu dans la loi d’avenir, a pour but de rationaliser le dispositif de délivrance, justifie le ministère. Ce dernier garde le suivi de la procédure européenne d’approbation des substances, la définition des risques acceptables pour l’environnement et la santé humaine, les contrôles réalisés dans les exploitations agricoles et chez les distributeurs de produits. Le ministère pourra demander à l’Anses de revoir sa copie face à une opposition motivée, ou encore délivrer des AMM de 120 jours en cas d’urgence phytosanitaire. En outre, il pilotera le dispositif de phytopharmacovigilance instauré par la loi d’avenir qui vise à surveiller les effets non intentionnels des produits phytopharmaceutiques sur l’environnement, la santé humaine et le développement de résistances.
« On voit vers quelles dérives la fuite du politique devant ses responsabilités, en donnant le pouvoir à une simple « agence » ouvertement sanctionnée par la justice, risque de nous conduire », dénonce encore l’Unaf, par ailleurs très critique sur le plan de développement durable de l’apiculture, dont le bilan a été présenté le 19 juin par Stéphane Le Foll.