Le septième continent est devenu tristement célèbre ces dernières années. Il est globalement constitué de cinq gyres de plastiques à travers le monde. Les conséquences pour la faune et la flore marines sont dramatiques. Les premières études scientifiques alertent sur les conséquences pour la santé humaine.
« C’est une neige marine, une bruine incessante de mort et de déchets coulant de la surface dans les profondeurs de la mer… » Ainsi commence l’article de Sabrina Imbler publié en avril 2022 dans le New York Times. « Cette neige commence sous la forme de particules qui s’agrègent en flocons denses, lesquels coulent progressivement et dérivent jusque devant la bouche des charognards plus bas. Mais même dévorée, la neige marine redeviendra très probablement neigeuse, car les entrailles d’un calmar ne sont qu’une halte dans cette longue descente vers l’abîme. »
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Microplastiques : ces “soupes de plastiques” de la taille d’un continent
Ces “soupes de plastiques” que sont les gyres océaniques résultent des tourbillons et des courants marins qui accumulent les déchets plastiques au sein de cinq zones subtropicales du globe. Le plus grand gyre, et le plus tristement célèbre, est celui du Pacifique Nord, qui s’étend sur 3,43 millions de kilomètres carrés (soit un tiers de l’Europe ou six fois la France) et sur une profondeur de 10 à 30 m !
Chaque année, sur les 8 millions de tonnes de débris qui viennent s’accumuler dans les océans, 70 % s’enfoncent dans les profondeurs et 30 % restent en surface. Selon une étude de 2020, les estimations en surface pourraient même ne représenter que 1 % du plastique effectivement présent dans les océans. La distribution spatiale et le devenir ultime des microplastiques seraient fortement contrôlés par les courants des profondeurs. Or ces courants dits thermohalins sont connus pour fournir de l’oxygène et des nutriments à la faune des grands fonds… Une autre étude datant de 2017 propose un inventaire du flux de plastique : selon les simulations réalisées, 99,8 % du plastique introduit dans les océans depuis 1950 serait actuellement à 100 m de profondeur, réparti en 83,7 % de macroplastiques, 13,8 % de microplastiques et 2,5 % de nanoplastiques (moins de 0,335 mm).
Une contamination dès les premiers maillons de la chaîne alimentaire
On estime à quelque 5 000 milliards de particules le volume de plastique déversé dans les océans. Les principales sources de pollution microplastique sont les cosmétiques, les textiles, les pneus, les revêtements (dont la peinture) et les résidus industriels. Les nanoplastiques sont essentiellement issus de la dégradation des plastiques déjà présents dans le milieu marin. La migration de ces microplastiques sur de longues distances, mais aussi verticalement, contribue à la contamination des écosystèmes marins dès les premiers maillons du réseau trophique jusqu’aux prédateurs supérieurs, favorise la circulation d’agents invasifs ou pathogènes (métaux lourds, polymères cyclooléfiniques, etc.) et provoque l’intoxication des organismes vivants marins via leur ingestion.
Les effets toxicologiques des microplastiques sont bien documentés : sur 6 000 échantillons de plancton analysés, 60 % ont été reconnus contaminés. Au-delà des risques pour les individus se pose la question de la rupture du réseau trophique, car le zooplancton contaminé ingère moins de proies. Par exemple, chez le copépode, cela peut réduire de 40 % la biomasse carbonée ingérée, provoquant une perte énergétique, une diminution de la taille des œufs, des éclosions, de la reproduction, de la mobilité, sans parler de l’apparition d’anomalies de développement et de croissance. Des constatations qui ne prennent pas en compte les dégâts engendrés sur les organismes vivants par les polluants organiques, hydrocarbures aromatiques, métaux lourds et autres biphényles polychlorés.
Des microplastiques qui affectent également les prédateurs
Une étude sur la pollution microplastique dans la baie de Monterey en Californie révèle une généralisation de la contamination de l’eau de mer par ces déchets, retrouvés dans le tube digestif des anchois et donc des guillemots, des oiseaux de mer qui se nourrissent de ces poissons. Les scientifiques ont ainsi découvert que la totalité de ces animaux étaient contaminés par les microplastiques et que 23 % d’entre eux hébergeaient des particules avec une activité œstrogénique. En clair, ces nanoparticules de plastique sont de potentiels perturbateurs hormonaux pour l’ensemble de la chaîne alimentaire, entraînant des effets en cascade sur la reproduction et le système immunitaire de la faune marine. L’étude a révélé que 58 % des anchois et 100 % des guillemots hébergeaient des microparticules inférieures à 5 mm dans leur tube digestif, composées à 78 % de fibres (coton ou polyester) et à 57 % de plastique. Les échantillons d’eau de mer contenaient environ deux microparticules pour 1 000 litres. Les anchois, en raison de leur régime alimentaire, concentrent ces microparticules en filtrant le plancton, ce qui en fait une source d’intoxication pour les guillemots qui s’en nourrissent. En outre, cette étude ne s’est intéressée qu’aux microplastiques. Or il est établi que les oiseaux de mer consomment également des morceaux de plastique relativement gros.
Cette pollution a un impact réel sur la santé, car de nombreux produits chimiques associés aux plastiques sont reconnus comme des perturbateurs endocriniens.
Les microplastiques, vecteurs d’agents pathogènes
Une unité CNRS de Bordeaux souligne l’importance de la pollution plastique dans la diffusion des maladies virales et bactériennes. Elle s’est intéressée aux microplastiques comme vecteurs d’agents pathogènes, notamment des virus et des bactéries. Car une fois dans l’environnement aquatique, les microplastiques sont rapidement colonisés par des micro-organismes qui produisent des biofilms, créant ainsi des environnements protégés par une matrice polysaccharidique extracellulaire. Or le risque que des bactéries s’y développent est bien réel. Celui de favoriser des mutations géniques et d’induire des résistances “naturelles” aux antibiotiques l’est tout autant. Des bactéries résistantes aux antibiotiques ont ainsi pu être retrouvées à des concentrations 100 à 5 000 fois plus élevées sur le biofilm microplastique que dans l’eau de mer environnante. Par rapport à un morceau de bois, les propriétés de diffusion et d’ingestion du microplastique en font un hôte significatif pour les virus et les bactéries au sein des écosystèmes marins.
Une étude de l’université du Queensland va plus loin en prouvant la capacité de ces minuscules particules à transporter et à diffuser des virus. Les scientifiques ont observé les capacités d’un bactériophage d’Escherichia coli à vivre sur ces microplastiques. Résultat : 98 % des virus ont pénétré l’environnement plastique et plus de la moitié étaient encore détectables dix jours après, soit beaucoup plus longtemps que si les particules virales flottaient librement dans l’eau. En outre, l’exposition solaire et la taille des microplastiques favoriseraient la survie des virus, donc la probabilité qu’ils soient transportés par des organismes vivants au gré des courants marins. Selon l’étude, « la dose nécessaire pour infecter l’homme varie selon les types de virus hébergés par les microplastiques, mais elle est parfois suffisante pour provoquer une infection potentielle ». Il pourrait être risqué de consommer des fruits de mer récoltés dans les zones contaminées par des microplastiques…
Toutes les espèces sont affectées
Une étude publiée en 2021 dans Nature a tenté de déterminer l’impact des microplastiques sur une zone de 4 000 km dans le Pacifique oriental tropical et l’archipel des Galapagos, soit 453 000 km2. Tous les échantillons étaient contaminés. Le long de la côte continentale, seize espèces de poissons, calmars et crevettes, habituellement consommées par l’homme, ont été prélevées : 100 % des organismes hébergeaient des microplastiques, principalement de 150 à 500 µm. En outre, comme le rappelle l’article du New York Times, les animaux marins comme les calmars favorisent les flux verticaux ascendants et descendants sur 24 heures, selon leurs pérégrinations prédatrices. Des chercheurs ont d’ailleurs remarqué que les calmars pélagiques ingéraient des microplastiques en se nourrissant de poissons et de copépodes contaminés, alors que les calmars vampires, qui vivent en eaux profondes, présentaient des taux de plastique bien plus élevés dans leur estomac. Ils en concluent que cette fameuse neige plastique évoquée plus haut est le principal facteur qui relie les différents réseaux trophiques dans les océans.
De l’urgence de s’attaquer à cette pollution invisible
En mars dernier, l’Agence européenne de l’environnement publiait un dossier concernant la filière du textile et son impact environnemental. Elle préconisait que tissus et plastiques fassent partie de la chaîne de valeur du plan d’action de l’Union européenne en faveur de l’économie circulaire. En mai 2021, un article de Frontiers faisait un point sur les réglementations et mesures politiques importantes adoptées par les pays méditerranéens pour contrôler et gérer la pollution microplastique en mer Méditerranée.
Mais les marges de progression sont énormes. On estime que chaque année près de 1 400 conteneurs sont perdus en mer. Sur 2 milliards de déchets (plastiques et autres) produits par an, la mise en décharge reste la principale méthode de gestion (70 %), très loin devant le recyclage ou le compostage (19 %) et l’incinération (11 %)…