jeudi, juin 26, 2025
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Villes envahies : les rats, révélateurs d’un malaise global

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Villes envahies : les rats, révélateurs d’un malaise global

Urbanisation, changement climatique, prolifération silencieuse : un fléau urbain s’installe aux quatre coins du globe. Des égouts de Paris aux rues de New York, des canaux d’Amsterdam aux zones inondées de Singapour, les rats ne sont plus de simples nuisibles. Ils incarnent désormais un enjeu sanitaire mondial et représentent un défi pour les métropoles du XXIe siècle.

 

Paris, New York, Bangkok, Bruxelles… partout les rats s’invitent dans l’espace public, grimpent le long des murs d’immeubles, surgissent dans les parcs, s’installent au pied des poubelles qui débordent. Longtemps reléguée au rang de désagrément marginal, cette espèce est devenue un marqueur des vulnérabilités urbaines profondes. En cause : une conjonction de facteurs qui lui sont favorables. Les villes offrent au rat nourriture et abris en abondance, tandis que le climat, de plus en plus clément, accroît sa capacité de survie et de reproduction.

La ville moderne, dans ses dysfonctionnements, est devenue un écosystème parfait pour le rat brun (Rattus norvegicus), une espèce particulièrement adaptée à l’environnement humain. À mesure que la densité urbaine croît, que les services de propreté peinent à suivre et que les infrastructures vieillissent, les rongeurs s’enracinent dans le paysage quotidien. Et avec eux, un cortège de menaces invisibles.

Selon l’Organisation mondiale de la santé animale (Omsa), dont le rôle est crucial dans la coordination des santés animale, humaine et environnementale, ce phénomène appelle à une refonte radicale de notre rapport à la faune urbaine. Ce n’est plus seulement un problème de salubrité, mais un défi global qui interroge nos villes et leur durabilité.

Les rats, membres de la faune dite commensale, sont désormais omniprésents, des égouts de Bangkok aux rues de New York en passant par les canaux d’Amsterdam. Leur prolifération n’est pas uniquement liée à leur adaptabilité, mais aussi aux bouleversements de l’environnement urbain et du climat. Les zones les plus touchées (villes européennes, nord-américaines ou asiatiques) présentent une corrélation forte entre la hausse des températures et l’augmentation des populations de rats.

 

Une menace sanitaire mondiale

Les rats ne se contentent pas de perturber la sécurité urbaine, ils véhiculent aussi des maladies graves. Le phénomène est loin d’être anecdotique. À Lyon, une étude a montré que plus d’un quart des rats capturés dans les espaces verts étaient porteurs de la bactérie Leptospira, responsable de la leptospirose. À Singapour, ce taux monte à 42 %. En Europe du Nord, l’hantavirus de Séoul (SEOV), transmis par les excréments secs de rats bruns, est détecté chez 5 à 38 % des rongeurs capturés selon les régions.

Ces agents pathogènes peuvent provoquer des formes sévères, allant de fièvres hémorragiques à des atteintes rénales mortelles. Les infections passent souvent inaperçues au cours des premières phases. Elles sont d’autant plus dangereuses qu’elles touchent prioritairement les populations les plus vulnérables (agents de nettoyage, sans-abri, travailleurs précaires, enfants). Là où le rat urbain côtoie la marginalité, le risque sanitaire s’intensifie. Il agit donc comme un révélateur biologique des inégalités sociales et des défaillances de santé publique. Il incarne ce que les épidémiologistes appellent un “pont zoonotique”, c’est-à-dire un vecteur potentiel entre la faune sauvage et l’humain, au cœur des préoccupations du concept “One Health”.

 

Des égouts de Paris aux rues de New York, des canaux d’Amsterdam aux zones inondées de Singapour, les rats ne sont plus de simples nuisibles. Ils incarnent désormais un enjeu sanitaire mondial

 

New York, Amsterdam, Bangkok : des réponses multiples

Face à cette prolifération, les villes du monde entier tentent de répondre. Certaines misent sur la technologie. C’est le cas de Bruxelles, où les autorités déploient des capteurs connectés pour repérer précocement les foyers d’infestation et guider les interventions. La capitale belge participe aussi à un programme de recherche européen inédit, Genomics Urban Rats Management, qui vise à comprendre la structure génétique des populations de rats pour cibler les actions de régulation.

À New York, la lutte contre les rats est devenue une priorité politique. Des “rats czars” (commissaires à la dératisation) ont été nommés pour coordonner les opérations à l’échelle de la ville. Des budgets conséquents sont alloués à la modernisation des infrastructures, à l’installation de conteneurs à déchets hermétiques et à la sensibilisation des habitants. Mais malgré ces efforts, la ville peine à enrayer la progression des rongeurs. En 2024, un sommet dédié à la gestion des rats a réuni chercheurs et experts municipaux pour élaborer des actions allant de l’extermination contrôlée à la stérilisation.

À Amsterdam, les autorités misent davantage sur la prévention que sur la destruction. La gestion des déchets est revue, les canalisations sécurisées, et des campagnes d’information incitent les habitants à ne pas nourrir les animaux sauvages. Là aussi, l’approche se veut intégrée, interdisciplinaire, et ancrée dans une vision durable.

D’autres villes innovent de façon plus inattendue. À Toulouse et Marseille, des furets sont utilisés pour déloger les rats dans les galeries souterraines, ciblant les couples reproducteurs. Cette méthode, inspirée de techniques anciennes, s’inscrit dans le respect de la directive européenne qui restreint l’usage des rodenticides toxiques.

 

Paris : entre tradition et tradition

En France, la ville de Paris doit faire face à un fléau très médiatisé par les touristes de passage… entre autres. Chaque année, plus de 7 000 interventions sont menées dans les égouts, les parcs ou les bâtiments publics. La municipalité emploie des raticides dans des boîtes sécurisées, supervise l’entretien des espaces verts, et encourage les habitants à signaler la présence de rats via une plateforme participative en ligne.

Mais ces efforts, bien qu’intensifiés, sont loin de suffire à éliminer durablement le problème. L’enjeu n’est plus d’éradiquer, mais de gérer. C’est dans cette logique que s’inscrivent désormais les actions municipales : sécuriser les déchets, colmater les accès souterrains, informer les citoyens, et surtout croiser les approches entre hygiène, écologie et santé humaine.

 

Des égouts de Paris aux rues de New York, des canaux d’Amsterdam aux zones inondées de Singapour, les rats ne sont plus de simples nuisibles. Ils incarnent désormais un enjeu sanitaire mondial

 

Une cohabitation à (re)penser

Si la tentation est grande d’éliminer massivement les rats, les experts s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’un changement de paradigme. L’approche “One Health” recommande de ne pas considérer ces animaux comme de simples nuisibles, mais comme des acteurs involontaires d’un écosystème urbain dysfonctionnel. Il ne s’agit pas de les protéger, mais de comprendre leur présence comme le symptôme d’un déséquilibre plus large.

Cela suppose d’abandonner la logique réactive, faite de campagnes de dératisation ponctuelles, pour adopter une politique préventive, intersectorielle et résolument intégrée. Lutter contre les rats, c’est aussi améliorer la propreté, renforcer l’équité dans l’accès à la santé, moderniser les infrastructures, et éduquer les citadins aux réalités écologiques de leur environnement.

 

Une urgence mondiale, des opportunités locales

La prolifération des rats en ville n’est pas un phénomène isolé. Elle illustre un défi global auquel font face toutes les grandes agglomérations, dans un monde de plus en plus densément peuplé, soumis aux dérèglements climatiques et traversé par de nouvelles menaces sanitaires. Mais elle représente aussi une opportunité : celle de repenser notre rapport à la ville, à la faune, à la gestion du vivant dans les territoires habités. Plutôt que de réagir à coups de poison, il est temps d’anticiper, de coopérer et de concevoir des villes résilientes. En cela, les rats ne sont peut-être pas nos ennemis… mais les messagers d’un monde à réparer.

Pour l’Omsa, la clé réside dans une approche coordonnée “One Health”, à l’échelle nationale comme locale. Cela passe notamment par l’intégration des services sanitaires, vétérinaires, écologiques et urbains afin de partager les données et agir de manière précoce. L’objectif est clair : créer une ville où la faune urbaine ne serait pas un problème à éradiquer, mais un indicateur du bon fonctionnement de nos infrastructures.

Cette vision s’inscrit dans un contexte devenu global : les espaces verts urbains, bien aménagés, peuvent devenir des refuges équilibrés pour la biodiversité. Le défi est double : assurer la santé publique tout en valorisant la richesse des écosystèmes urbains. Kaylee Byers, de l’université Simon Fraser, invite à transformer les espaces publics, les jardins urbains ou les zones humides en lieux propices à une cohabitation respectueuse. La ville elle-même témoigne de sa capacité à réinventer les pratiques. Si la prolifération des rats est inévitable, notre réponse doit être appropriée, en misant sur la prévention, la recherche, l’innovation et l’éducation collective. C’est la promesse d’une cohabitation maîtrisée, d’une résilience urbaine renforcée et, au final, d’une meilleure santé pour tous.

 

Des égouts de Paris aux rues de New York, des canaux d’Amsterdam aux zones inondées de Singapour, les rats ne sont plus de simples nuisibles. Ils incarnent désormais un enjeu sanitaire mondial

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