Un récent rapport* des Amis de la terre, intitulé « Agriculture européenne, la grande braderie », passe en revue les répercussions pour les production animales et végétales de la signature du Traité transatlantique de partenariat pour le commerce et l’investissement (Tafta ou TTIP**). Les conséquences sur le secteur agricole de ce traité de libre-échange, en cours de négociation entre l’Europe et les États-Unis, iront au-delà des impacts sanitaires (OGM, rinçage antimicrobien des volailles, hormones de croissance en élevage, etc.). Selon le rapport, le Tafta provoquerait une augmentation des importations et une chute des revenus pour les agriculteurs et les éleveurs, chamboulant en profondeur l’agriculture européenne confrontée à une intensification et à une concentration industrielle toujours plus poussées.
Depuis l’été 2013, les États-Unis et l’Union européenne tentent de parvenir à un accord qui supprimerait les barrières commerciales et réglementaires de part et d’autre de l’Atlantique. Mais ce projet de traité rencontre de plus en plus de résistances et de scepticisme, notamment en Allemagne mais aussi en France. Car les risques de ce libre-échange transatlantique vont déjà mettre à mal les normes sanitaires et environnementales de l’Europe. Bœuf aux hormones, organismes génétiquement modifiés, rinçage des viandes crues de volaille aux produits chimiques, résidus de pesticides dans les fruits et les légumes, bien-être animal sont autant de sujets de discorde entre les Européens, soucieux de leur modèle agricole et de la protection des consommateurs, et les Américains, qui considèrent ces normes comme autant d’entraves réglementaires injustifiées et sans fondement scientifique.
D’après les conclusions des études économiques rapportées par les Amis de la terre, les échanges seraient en outre totalement déséquilibrés, avec d’un côté des exportations agricoles américaines vers les pays de l’Union en nette augmentation et, de l’autre, des exportations européennes limitées à quelques secteurs, comme les fromages. D’autres secteurs sont même menacés de disparition, comme l’élevage bovin dans certains États membres. Les producteurs européens ont donc beaucoup à perdre de la libéralisation des échanges avec les États-Unis, selon le rapport.
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Impacts sur l’élevage de bovins
Ce secteur, déjà frappé par la crise agricole, devrait beaucoup souffrir de la baisse des tarifs douaniers. Face à l’importation massive de bœuf américain bon marché, élevé en majorité dans des parcs d’engraissement, les élevages européens traditionnels avec pâturage sont particulièrement menacés. Les pressions pour lever l’interdiction du bœuf traité avec des hormones de croissance se sont multipliées, note également le rapport. En plus des importations en provenance du Canada, l’augmentation des quotas d’importation de bœufs américains non traités aux hormones pourrait entraîner « une chute de revenu de 40 à 50 % pour les producteurs européens de bovins », voire « la disparition du secteur », estime l’Interprofession bétail et viande (Interbev). En effet, il s’agit alors de quartiers arrière de bœuf de grande qualité qui concurrencent directement la viande haut de gamme produite par les éleveurs européens de vaches allaitantes.
Les États-Unis n’ont pas de législation fédérale sur le bien-être des animaux de rente. Les normes pour le transport et l’abattage varient d’un état à l’autre.
Impacts sur l’élevage de volailles
Avec 14 %, la France est en tête des États membres qui ont la plus forte concentration d’exploitations avicoles commerciales (plus de 5 000 oiseaux par unité industrielle). La production fermière de volailles reste toutefois importante dans l’Union européenne, qui compte plus de 2 millions de petits élevages. Aux États-Unis, la production est concentrée et intégrée, 19 % des exploitations produisant 68 % des volailles vendues. Les exportations vers l’Union restent pour le moment limitées, car Bruxelles interdit les rinçages chimiques de « réduction des agents pathogènes » (y compris avec de l’eau de javel ou des solutions à base d’acide lactique) pratiqués sur les viandes de volailles américaines. Mais là encore, les groupes de pression travaillent à l’abandon de cette interdiction (les rinçages à l’acide lactique ont été autorisés pour la viande de bœuf en 2014), ainsi qu’à la suppression des tarifs douaniers, ce qui provoquerait « une baisse du secteur européen des viandes blanches [porc compris] allant jusqu’à 9 % en France et dans les pays baltes ». Par ailleurs, les normes plus strictes de bien-être animal (densité, cages aménagées, etc.), de protection de l’environnement et d’hygiène (de la ferme à l’assiette) de l’Union représentent 5 % de frais de production en plus pour les éleveurs européens, tandis que les coûts globaux sont moindres de 22 % pour les producteurs américains notamment en raison d’aliments moins chers. En revanche, aucune étude de modélisation économique n’a examiné les conséquences du traité pour la production d’œufs.
Impacts sur l’élevage de porcs
Le secteur porcin européen aussi serait affecté. Si la production est deux fois plus importante que celle des États-Unis et davantage industrialisée, ses coûts de production par animal sont malgré tout 29 % plus élevés, répartis « principalement sur la main-d’œuvre, l’équipement, les frais vétérinaires et les bâtiments », relève Interbev. Là encore, la levée de l’interdiction de la ractopamine, une hormone de croissance utilisée massivement dans l’élevage des porcs américains (entre 60 et 80 % de porcs traités), fait partie des négociations. L’Union européenne a en effet interdit la vente de viande de porc contenant des résidus de ractopamine, en raison des risques pour les consommateurs, suivie en cela par la Chine et la Russie. Plutôt qu’une élimination complète des tarifs douaniers, peu probable, l’Union devrait proposer des quotas d’importations de viande de porc sans ractopamine, prévus dans les accords commerciaux précédents.
Impacts sur le secteur laitier
Le secteur laitier américain est très influent et fortement protégé. L’Union européenne, premier producteur de produits laitiers au monde, part divisée au combat. Son industrie laitière est hétérogène avec des secteurs aux intérêts divergents face au Tafta. Ainsi, Bruxelles met en exergue les avantages présumés du traité pour les exportations de fromages, notamment via la reconnaissance par les États-Unis des indications géographiques européennes. Mais ce n’est pas gagné, car les pressions contre ces appellations protégées sont intenses outre-Atlantique et selon certaines études, les bénéfices en termes d’exportation se limiteraient à quelques produits (les fromages Grana Padano et Parmigiano Reggiano, le champagne, le cognac, le whisky écossais). En outre, des modélisations estiment que le Tafta pourrait entraîner une baisse du prix du litre de lait pour les producteurs européens, même si les exportations augmentent.
La France produit 40 % des produits sous indication géographique exportés hors de l’Union, devant le Royaume-Uni (25 %) et l’Italie (21 %).
Impacts sur les cultures arables
Comme ceux de lait, les producteurs de céréales et d’oléagineux européens seraient confrontés à des chutes de prix. En outre, même si Bruxelles affirme que le traité n’aura aucune conséquence sur les règlements et les procédures qui encadrent les plantes génétiquement modifiées, Washington veut clairement mettre les OGM au menu des négociations, de même que les délais jugés trop longs pour l’examen des produits issus des biotechnologies, estimant que le principe de précaution de l’Union constitue un frein important au commerce.
Au final, les petits producteurs européens souffriront davantage de la concurrence et des importations de l’agriculture et de l’élevage états-uniens, et devront faire face à une chute des prix dans toutes les catégories d’aliments. Selon les différentes analyses, le Tafta entraînera une baisse jusqu’à 0,8 % de la contribution de l’agriculture européenne au produit intérieur brut (PIB), tandis que la contribution des États-Unis augmentera de 1,9 %.
Les questions relatives au bien-être animal ont été exclues du Tafta.
De son côté, Greenpeace Pays-Bas a publié sur Internet***, le 2 mai dernier, une quinzaine de documents confidentiels relatifs aux négociations du Tafta, afin de faire la lumière sur ce projet et de déclencher un débat éclairé sur le traité qui menace, selon elle, tant l’environnement que la vie de plus de 800 millions de citoyens européens et américains. L’organisation écologiste dénonce plusieurs aspects « particulièrement préoccupants » : la protection de l’environnement et celle du climat rendues plus complexes, le principe de précaution mis à mal et la porte ouverte aux intérêts des industriels et des multinationales dans les négociations.
* http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/rapport-tafta-agriculture-avril2016-min.pdf
** Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP), aussi appelé Transatlantique Free Trade Agreement (Tafta).