Le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a mené une mission* commune avec l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) pour évaluer l’application, l’efficacité et la pertinence des textes** qui encadrent la prescription de médicaments par le vétérinaire sanitaire, sans examen clinique préalable des animaux. Dans cette pratique jugée à risque en termes de santé publique, qui concerne les élevages de production, le cadre réglementaire est mal appliqué, y compris concernant les antibiotiques qui occupent pourtant une place de choix dans les protocoles de soins.
Pour pouvoir prescrire des médicaments vétérinaires sans examiner auparavant les animaux destinés à la consommation humaine, le praticien est tenu de réaliser un bilan sanitaire d’élevage (BSE), établir et mettre en œuvre un protocole de soins, assurer le suivi permanent du cheptel, dispenser régulièrement des soins et des actes de médecine ou de chirurgie. Dans ce cadre, la mission conjointe du CGAAER et de l’Igas a réalisé un état des lieux de l’application de la réglementation au quotidien, tant par les éleveurs que par les vétérinaires. Elle a repéré des faiblesses et formulé vingt et une recommandations d’évolution (voir plus bas).
Ainsi, selon la mission, le dispositif souffre d’un excès de formalisme qui a fait perdre de vue sa finalité : même si les documents (BSE et protocole de soins) sont presque toujours présents, le suivi sanitaire permanent est délaissé, voire inexistant. Par ailleurs, les rapporteurs notent que la dispensation des médicaments vétérinaires prescrits sans examen clinique échappe aux pharmaciens, car l’ordonnance n’est remise à l’éleveur qu’au moment de la délivrance des médicaments par le vétérinaire, après la visite. En outre, la mention préimprimée « renouvellement interdit » impose à l’éleveur de revenir vers le vétérinaire.
Selon les auteurs, la place des pharmaciens tend à disparaître dans le circuit des médicaments vétérinaires curatifs ou métaphylactiques, mais aussi préventifs (comme les vaccins, les antiparasitaires), créant de fait une entrave à la libre-concurrence.
Face à ces constats, les recommandations formulées visent avant tout à simplifier les dispositions réglementaires pour les recentrer sur leur objectif : relier la prescription sans examen clinique au suivi sanitaire permanent assuré en partenariat par le vétérinaire et l’éleveur. Certaines préconisations tendent à alléger les textes, d’autres à renforcer le caractère contractuel de ce partenariat, ou encore à recueillir des indicateurs simples de contrôle (par exemple, via l’enregistrement du BSE et du protocole de soins sur le support informatisé de la visite sanitaire obligatoire).
Sur la question de l’antibiorésistance, il est préconisé d’exclure les antibiotiques utilisés à titre préventif de la prescription hors examen clinique. En outre, la prescription d’un second antibiotique, après un échec thérapeutique ou une rechute, serait soumise à l’identification du germe responsable et à la réalisation d’un antibiogramme. Selon le type de production, le dépassement d’une certaine quantité d’antibiotiques prescrits sans examen clinique devra déclencher la visite du vétérinaire. La réutilisation des antibiotiques présents dans la pharmacie d’élevage sera conditionnée à la rédaction d’une ordonnance ou d’un accord écrit du vétérinaire afin d’en assurer la traçabilité. Il convient enfin d’interdire le renouvellement de la délivrance des antibiotiques prescrits hors examen clinique. Chaque année, l’établissement d’un bilan annuel de leur prescription, pour chaque élevage, permettrait en outre à l’éleveur et au vétérinaire d’en apprécier l’évolution, voire de recourir à des mesures sanitaires alternatives à l’antibiothérapie.
Dans un contexte de réduction régulière des ressources humaines affectées aux activités d’inspection de la pharmacie vétérinaire, le rapport recommande de pratiquer des contrôles ciblés sur la sécurité sanitaire, à partir d’analyses de risque. Cette mission sera assurée conjointement par les inspecteurs de santé publique vétérinaire et les pharmaciens inspecteurs, qui devront être soutenus par l’État pour mener à leur terme les actions administratives, disciplinaires ou pénales initiées.
Au-delà d’un encadrement renforcé de la prescription sans examen clinique, les propositions d’évolution du rapport visent à créer les conditions d’un partenariat renouvelé entre l’éleveur et le vétérinaire, qui ne se limite pas à la prescription-délivrance des médicaments vétérinaires, mais couvre l’ensemble du domaine sanitaire. « Nombre d’éleveurs ne voient pas dans la visite annuelle de renouvellement du BSE l’occasion de disposer d’une vision globale de la situation sanitaire de leur élevage et de son évolution dans le temps, et de dégager en conséquence des priorités d’actions pour l’améliorer. Ce constat est particulièrement regrettable, car il montre que la finalité du dispositif échappe à ceux qui devraient en être les premiers bénéficiaires », déplorent les rapporteurs. Le but est, au final, de confirmer la responsabilité de l’éleveur comme premier acteur de la santé de son troupeau, mais aussi de mieux valoriser le savoir-faire du vétérinaire dans le champ du conseil technique afin de rééquilibrer les revenus issus de son art et de ses actes de ceux produits par la vente de médicaments.
* La prescription vétérinaire hors examen clinique : état des lieux et propositions d’évolution, CGAAER et Igas, décembre 2015, publié le 31 mai 2016.
** Décret n° 2007-596 et arrêté du 24 avril 2007 relatifs à la surveillance sanitaire et aux soins régulièrement confiés au vétérinaire pris en application de l’article L.5143-2 du Code de la santé publique.
Les 21 recommandations de la mission CGAAER-Igas
- 5 recommandations générales
> Adopter des définitions précises qui distinguent clairement les dispositions sur la prescription de celles relatives à la délivrance.
> Prévoir un dispositif obligatoire d’enregistrement de la réalisation du bilan sanitaire et de son renouvellement, simple, informatisé et accessible aux services officiels de contrôle, avec le nom du vétérinaire désigné et la date.
> Imposer la remise de l’ordonnance par le vétérinaire au détenteur des animaux concomitamment à la prescription de médicaments vétérinaires à visée préventive, au moment de la réalisation du protocole de soins ou de son actualisation.
> Remettre en vigueur la pratique de contrôles assurés conjointement par les pharmaciens inspecteurs et les inspecteurs de santé publique vétérinaire en les orientant vers des contrôles ciblés définis après une analyse de risque partagée visant principalement les antibiotiques. Former ces agents à l’établissement des procédures judiciaires.
> Modifier l’article L.5442-10 du Code de la santé publique en faisant référence aux articles du code qui définissent le suivi sanitaire permanent, afin de pouvoir poursuivre en cas de délivrance hors la loi, mais aussi lors de prescriptions irrégulières (prescriptions sans examen clinique réalisées en l’absence de suivi sanitaire).
- 8 recommandations visant l’amélioration du suivi sanitaire permanent des élevages
> Faire désigner par l’éleveur un seul vétérinaire sanitaire par atelier (même espèce animale et même type de production).
> Supprimer la fixation d’une activité maximale cumulée pour un même vétérinaire. Selon les rapporteurs, « la pertinence contestable des quotas d’activité prive le dispositif de toute efficacité », ils recommandent donc « l’abandon de ce contrôle a priori au profit d’un contrôle a posteriori dans lequel une approche quantitative simple et fiable participera à l’évaluation globale du suivi sanitaire ».
> Fixer la référence, pour les affections auxquelles l’élevage a été confronté, aux cinq dernières années précédant l’établissement du protocole de soins.
> Supprimer la fixation par arrêté des critères d’alerte qui doivent déclencher la visite du vétérinaire, leur place est prévue dans le protocole de soins.
> Faire précéder les signatures du vétérinaire et de l’éleveur sur le protocole de soins d’une mention faisant explicitement référence à leurs responsabilités respectives dans la mise en œuvre du protocole de soins.
> Prévoir le nombre de visites de suivi dans le protocole de soins et préciser qu’il ne peut être inférieur à une par an. Supprimer la périodicité minimale des visites de suivi.
> Remplacer les termes « la dispensation régulière de soins, d’acte de médecine ou de chirurgie » par les termes « l’accès régulier aux données sanitaires de l’élevage lors de la dispensation de soins, d’acte de médecine ou de chirurgie, le recueil (et l’enregistrement) des informations prévues dans le protocole de soins, le recueil et l’enregistrement de toute donnée intéressant la situation sanitaire de l’élevage ».
> Prévoir l’identification spécifique des ordonnances qui accompagnent la prescription anticipée de médicaments vétérinaires dans le cadre de l’application d’un protocole de soins.
- 8 recommandations concernant la prescription et la délivrance des antibiotiques sans examen clinique
> Exclure la prescription d’antibiotiques du volet “prévention” du protocole de soins en prévoyant, par arrêté ministériel, des délais d’application adaptés aux contraintes des filières, sans excéder deux ans, et prenant en compte le temps nécessaire à l’évolution des pratiques d’élevage.
> En cas d’échec thérapeutique ou de rechute après l’administration d’un antibiotique prescrit en première intention dans le cadre de la métaphylaxie, la prescription sans examen clinique préalable d’un second antibiotique doit être précédée d’un examen bactériologique et d’un test de sensibilité de l’agent pathogène aux antibiotiques. Les prélèvements sont à réaliser avant l’administration du premier traitement.
> Dans le cadre d’un traitement curatif, en cas d’échec thérapeutique ou de rechute après l’administration d’un antibiotique prescrit en première intention, la prescription sans examen clinique préalable d’un second antibiotique doit être précédée d’un examen bactériologique et d’un test de sensibilité de l’agent pathogène aux antibiotiques. Les prélèvements sont à réaliser avant le premier traitement.
> Prévoir, dans le protocole de soins, la présence obligatoire d’un seuil concernant la quantité d’antibiotiques prescrits sans examen clinique dont le dépassement constituera un critère d’alerte qui déclenchera la visite du vétérinaire.
> Interdire le renouvellement de la délivrance d’un antibiotique prescrit sans examen clinique.
> Prévoir, lors d’une visite de suivi, un bilan annuel de la prescription d’antibiotiques sans examen clinique ou nécropsique (nombre de prescriptions, quantité d’antibiotiques, par famille). Prévoir une durée de conservation de cinq ans de ce bilan dans le registre d’élevage et au domicile professionnel du vétérinaire.
> En cas de bilan annuel de prescription d’antibiotiques défavorable (augmentation de la quantité d’antibiotiques prescrits), prévoir l’obligation de compléter le protocole de soins par des mesures sanitaires préventives et curatives supplémentaires.
> Soumettre la réutilisation éventuelle des antibiotiques prescrits sans examen clinique à la rédaction d’une ordonnance adaptée au nouveau traitement ou à toute forme d’accord écrit du vétérinaire en charge du suivi sanitaire permanent, assurant la traçabilité de l’échange d’informations avec l’éleveur et mentionnant les conditions d’application du nouveau traitement.