Face à l’extension du trafic mondial des faux médicaments, qui menace la santé animale et humaine, les Ordres et les académies des médecins, des pharmaciens et des vétérinaires se sont unis pour lutter ensemble contre ces « crimes qui doivent être, comme le terrorisme, poursuivis et sanctionnés ». Les présidents des six institutions ont signé un manifeste* commun, à l’issue d’une table ronde le 5 avril, qui milite pour l’adoption d’une politique de prévention, mais surtout de répression à l’échelle internationale. Ils demandent plus particulièrement la ratification par la France de la convention Médicrime du Conseil de l’Europe, ouverte à la signature depuis octobre 2011.
Médecins, pharmaciens et vétérinaires ont ainsi adopté une position commune, qui fait l’objet de ce manifeste et d’un rapport**, pour dénoncer le commerce juteux de faux médicaments et produits pharmaceutiques, un fléau pour la santé publique mondiale qui ne cesse de se propager. S’il a épargné pendant longtemps les pays développés, le trafic touche désormais toutes les régions du monde, notamment via la vente en ligne des produits contrefaits. Les trafiquants, grâce à Internet***, court-circuitent les douanes nationales et les ayants droit de la distribution. Les trois professions de santé, en unissant leurs voix pour réclamer davantage de répression, entendent aussi alerter sur la gravité des risques encourus : « La fabrication, le transport, la détention et la vente de médicaments ou de vaccins falsifiés sont des crimes qui doivent être, comme le terrorisme, poursuivis et sanctionnés en raison des graves menaces qu’ils font peser sur la santé publique dans le monde. »
Malgré la gravité de la situation, les moyens mis en œuvre restent, selon les six institutions, lents et insuffisants, limités à « de simples opérations “coups de poing” sur les marchés des pays vulnérables ou à des “coups de filet” spectaculaires » comme la saisie du Havre en 2014****. Elles déplorent « des carences à tous les niveaux » et un circuit criminel mondial qui bénéficie d’une quasi-impunité. Car il n’existe qu’un seul outil juridique de lutte contre la falsification des produits médicaux, la convention Médicrime, susceptible de remédier à l’absence de législation internationale. La « Convention du Conseil de l’Europe sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique » offre en effet un cadre de coopération internationale et de coordination nationale pour appliquer des sanctions pénales et prendre des mesures de prévention et de protection des patients. Ouverte à la signature de tous les États, membres ou non, du Conseil de l’Europe depuis octobre 2011, seuls six pays (Arménie, Espagne, Hongrie, Moldavie, Ukraine et Guinée) l’ont ratifiée jusqu’à présent. En France, le projet de loi de ratification est passé en première lecture au Sénat fin 2015. Son adoption par l’Assemblée nationale, toujours en instance, devrait intervenir en mai prochain.
Les trois académies, afin de s’assurer que leurs recommandations (voir plus bas) sont bien prises en compte par les différents acteurs concernés, ont mis en place un comité interacadémique chargé de suivre l’état d’avancement des actions préconisées et de communiquer sur les progrès réalisés et les carences constatées, susceptibles de porter atteinte à la santé animale et humaine.
* « Manifeste pour une politique de prévention et de répression du trafic des médicaments falsifiés à l’échelle internationale », 5 avril 2016, https://www.veterinaire.fr/fileadmin/user_upload/manifeste_academies.pdf
** « Médicaments falsifiés, plus qu’un scandale, un crime », rapport de décembre 2015, http://www.academie-veterinaire-defrance.org/fileadmin/user_upload/pdf/pdf_2015/Rapport_ANM_Med_Fals.pdf
*** Voir notre article sur l’opération Pangea VIII contre le trafic de médicaments sur Internet qui a mobilisé 115 pays en juin 2015, dont la France (saisie de plus d’un million de comprimés et d’une tonne de produits pharmaceutiques illégaux ou contrefaits).
**** Une saisie record de 2,4 millions de médicaments de contrefaçon, la plus importante réalisée par les services douaniers en France et dans l’Union européenne, a eu lieu le 27 février 2014 au Havre.
Les sept recommandations des trois académies
> Dénoncer, au plus haut niveau des États, le trafic des médicaments falsifiés comme une entreprise criminelle portant atteinte à la santé et en tirer les conséquences contraignantes et pénales, via une large ratification de la convention Médicrime et des instructions fermes et suivies aux administrations.
> Rappeler à son devoir l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui doit abandonner son attitude laxiste et se doter de moyens renforcés pour une engagement réel, efficace et suivi.
> Développer une coordination entre tous les organismes chargés de cette lutte sur le plan national et international.
> Contrôler la sécurité et la pérennité des approvisionnements, en particulier la distribution en gros, en assurant la transparence et la traçabilité des flux et en évitant toute déréglementation inadaptée.
> Sensibiliser l’ensemble des professionnels de santé aux conséquences dramatiques du trafic des médicaments falsifiés dans les pays pauvres, mais aussi dans les pays économiquement développés, en imposant une formation initiale et continue adaptée à ce fléau.
> Alerter sans relâche l’opinion publique sur les risques inhérents à l’usage des médicaments falsifiés (ainsi qu’au mésusage des vrais) et l’inciter à s’approvisionner exclusivement dans les circuits officiels et contrôlés de la distribution des médicaments, en écartant le recours à Internet, source croissante de danger, et les achats de rue ou de marché dans les pays “pauvres”.
> Rappeler avec force que la baisse du coût des médicaments (sans altération de leur qualité) et la mise en place progressive d’une couverture sanitaire des populations les plus pauvres constituent deux démarches qui rendent les médicaments accessibles au plus grand nombre de patients dans les pays démunis.