Si la pratique n’a pas encore conquis l’Europe, la consommation d’insectes est déjà largement rependue dans certaines parties du Monde comme l’Afrique, l’Asie, ou l’Amérique latine. Malgré les nombreux avantages économiques, environnementaux et nutritionnelle, la France demeure encore frileuse à la présence des insectes dans l’assiette des humains et leurs compagnons à poils, mais plus pour longtemps.
D’ici 2030, près de neuf milliards d’hommes et d’animaux devront être nourris. Pour relever le défi et subvenir aux besoins toujours croissants, en particulier en protéines, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) s’est prononcée en faveur du développement de l’élevage d’insectes à grande échelle. Les animaux de compagnie qui consomment aujourd’hui 20% de la viande globale font immanquablement partie de l’équation.
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Des valeurs économiques, écologiques et nutritionnelles fortes
Si l’entomologiste Marcel Dicke de l’Université de Wageningen aux Pays-Bas estime notre consommation involontaire d’insectes de 500 g à 1 kg par an, notamment dans les produits fabriqués à base de farine, les insectes ne pas encore l’unanimité dans nos assiettes en France.
Pourtant, environ deux milliards de personnes dans le monde complémentent leurs régimes alimentaires avec des insectes qui sont nutritionnellement intéressants. Certaines espèces sont particulièrement riches en protéines, lipides, minéraux et vitamines et avec des compositions en acides aminés bien équilibrées au regard des besoins humains et animaux. Ils ont également l’avantage d’être pauvres en sodium et en glucides.
C’est sans oublier les bénéfices environnementaux. L’élevage d’insectes demande des surfaces d’exploitation extrêmement réduite comparée à l’élevage traditionnel. Si on prend l’exemple des vers de farine, ces animaux ne boivent pas, se développent dans l’obscurité et à des densités très élevées, ce qui concourt à réduire l’impact écologique de leur élevage.
Comparés au bœuf, les aliments à base d’insectes utilisent 2% des terres et 4% de l’eau par kg de protéines. 1 tonne d’insectes peut être cultivée sur 20 m² d’espace en 14 jours, le tout sans nécessité, ni d’engrais ni de pesticides et en produisant seulement de très faibles émissions.
Leur consommation est incitée pour des raisons environnementales et nutritionnelles par la FAO depuis des années. Mais les réglementations françaises, ou plutôt leur non existence, ont longtemps freiné les ardeurs des industriels. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) préconise la prudence quant à la consommation des insectes.
Des risques sanitaires possibles liés aux insectes
En 2015, dans la perspective d’un possible développement de ces produits en Europe ou en France, l’ANSES publiait un état des lieux des connaissances scientifiques sur les risques liés à la consommation d’insectes. Elle y faisait notamment l’inventaire des dangers potentiels véhiculés par les insectes et des besoins en recherche sur la question.
Comme tous les aliments, les insectes peuvent véhiculer certains dangers qui doivent être maîtrisés par des normes spécifiques afin de réduire les risques potentiels liés à leur consommation.
En effet, les risques sanitaires existent, et l’ANSES les catégorise en quatre types :
- Les substances chimiques : Les insectes peuvent contenir des substances toxiques comme du venin, ou des médicaments, pesticides ou polluants organiques utilisés pour leur élevage. Certaines espèces d’insectes peuvent aussi contenir des substances anti-nutritives qui peuvent, lorsque consommés en grande quantité, perturber l’absorption de certains nutriments. Cependant, pour la plupart, ces substances se retrouvent également dans certains aliments courants.
- Les dangers physiques : Certaines parties de l’insecte sont indigestes et doivent être retirées. Les autorités belges préconisent ainsi de retirer les pattes et les ailes du criquet. La consommation du rostre de certains coléoptères ou le dard d’insectes n’est également pas recommandé.
- Les risques physiques : Comme pour l’ensemble des arthropodes (acariens, crustacés, mollusques), il existe un risque d’allergie.
- Les risques microbiens : des parasites, des virus, des bactéries et leurs toxines ou encore des champignons peuvent infecter lors de la consommation d’insectes. Il manque encore beaucoup d’informations à ce sujet et des précautions doivent être prises.
Le travail d’expertise de l’ANSES soulignait le besoin de recherches complémentaires pour mener une évaluation complète des risques sanitaires liés à la consommation des insectes. A ce titre, elle recommandait d’établir des listes des différentes espèces pouvant être consommées et de définir un encadrement spécifique des conditions d’élevage et de production des insectes et de leurs produits, permettant de garantir la maîtrise des risques sanitaires.
A juste titre, mais il faut dire, comme pour tout aliment destiné à la consommation. Depuis, de nombreuses études sont venus étayer les informations en faveur de ce produit. Mais malheureusement, en France, les normes réglementant la consommation des insectes se sont fait attendre, bloquant leur industrialisation.
Pendant des années, un vide juridique autour de la protéine d’insecte
Encore aujourd’hui en France, il n’y a pas de législation qui autorise explicitement l’élevage et la commercialisation d’insectes. Cependant, une note technique du ministère de l’agriculture de 2017 clarifiait un point réglementaire sur l’utilisation des insectes et de leurs dérivés pour l’alimentation animale.
Ainsi, les insectes entiers sont autorisés pour nourrir les animaux de rente et de compagnie. Les protéines animales transformées à base d’insectes sont autorisées en aquaculture depuis le 1er juillet 2017, à condition d’être issus de sept espèces (2 mouches, 2 ténébrions, 3 grillons). Elles sont interdites pour les ruminants, les porcs et les volailles, mais utilisables pour les animaux familiers et ceux à fourrure. Les graisses d’insectes et les protéines hydrolysées sont autorisées pour les animaux d’élevage.
En revanche, pour les humains, depuis le 1er janvier 2018, le règlement sur les nouveaux aliments (novel food), non consommés en Europe avant 1997, dont les insectes font partie, est clair : la nourriture à base d’insectes (entiers ou morcelés) ne peut être commercialisée sans autorisation préalable de la Commission européenne.
Cela fait plusieurs années que la France attendait que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) rende ses premières évaluations de risque alors que d’autres pays européens avaient déjà pris le pli. La Belgique ou le Pays-Bas permettent aux producteurs, transformateurs et distributeurs de continuer à commercialiser leurs produits depuis maintenant des années.
Mais les autorités françaises ont, de leur côté, préféré rester fidèles à leur « principe de précaution absolu. Un arrêté du préfet de police de Paris suspend même, depuis le 27 janvier 2016, la vente d’insectes entiers destinés à l’alimentation humaine. Saluée par nombre d’experts, cette vigilance pendant une période de vide réglementaire, a sans nul doute retardé le développement des insectes comestibles made in France et a causé de gros préjudices à la filière française qui s’était déjà lancée sur le marché et avait dû brutalement s’interrompre. C’est dire l’immense impatience des professionnels face à la décision imminente de l’Efsa.
Le marché de l’insecte dorénavant en pleine expension
Heureusement, la situation semble enfin se débloquer. Désormais, tous les ingrédients sont réunis pour que les insectes puissent gagner légalement les assiettes et les gamelles : une législation claire, des démarches simplifiées et plusieurs demandes d’autorisation instruites par la Commission européenne.
La Commission européenne devait délivrer les premières autorisations de commercialisation début 2020 mais elles ont été retardé par la crise sanitaire mondiale. Ces décisions devraient conduire à l’autorisation définitive de la vente de ce « nouvel aliment » pour les humains, comme les animaux.
Une avancée qui aiguise déjà l’appétit des investisseurs. La foodtech française ‘Ynsect’ qui élève des insectes pour les transformer en ingrédients protéinés destinés aux animaux de compagnies, à l’aquaculture et aux plantes, le prouve en levant 372 millions de dollars supplémentaires ce mois-ci.
Il restera forcément encore des questions en suspens sur la digestion et l’absorbion des micro et macro nutriments par les animaux, mais comme pour toutes les autres marques alimentaires pour animaux. Les chercheurs continuent à étudier la question activement.
Mais pour le moment les résultats sont plutôt positifs. Chez les poissons, les cochons et les volailles, une nourriture à base d’insecte ne semble pas affecter la santé ou le poids global des animaux, au contraire. Les porcelets nourris aux insectes semblent héberger une meilleure diversité microbienne.
Au vu des premiers résultats, les vétérinaires encouragent même les propriétaires à nourrir leurs chiens et chats aux insectes. La British Veterinary Association (BVA) affirme même que certains aliments à base d’insectes peuvent être meilleurs pour les animaux de compagnie qu’un steak de premier choix. Bon pour la santé, bon pour l’environnement, certains n’hésite plus.
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