
Le virus H5N1, longtemps associé aux oiseaux, a franchi une nouvelle étape dans son évolution. En infectant les bovins laitiers et en se répliquant dans la glande mammaire, il modifie son tropisme viral et révèle un nouveau mode de transmission via le lait cru. Les scientifiques alertent sur une dynamique inédite et potentiellement dangereuse.
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Le H5N1 n’est plus seulement aviaire
Le H5N1, virus de la grippe aviaire hautement pathogène, connaît depuis 2024 une transformation profonde. Alors qu’il circulait majoritairement chez les oiseaux sauvages et d’élevage, il a été identifié dans plusieurs troupeaux de vaches laitières aux États-Unis, marquant une rupture majeure dans sa biologie virale. Pour la première fois, le virus montre une capacité à infecter une espèce de mammifère non carnivore, en l’occurrence les bovins.
Tropisme viral : une clé pour comprendre sa diffusion
Au cœur de cette évolution se trouve le tropisme viral, c’est-à-dire la capacité d’un virus à infecter des types cellulaires spécifiques. Une revue, publiée en juillet 2025, décrit comment le tropisme du H5N1 varie selon l’espèce aviaire : chez le poulet il envahit tout l’organisme via les cellules endothéliales, chez le canard il cible les tissus épithéliaux et neurologiques. Mais chez les bovins, les chercheurs ont mis en évidence un tropisme unique : le virus s’installe dans la glande mammaire, sans provoquer de troubles respiratoires notables. Ce tropisme mammaire repose sur un fait biologique remarquable : les cellules alvéolaires des vaches expriment à la fois les récepteurs SA-α2,3 (affinité aviaire) et SA-α2,6 (affinité humaine), ce qui offre au H5N1 une double porte d’entrée. Cette spécificité rend les vaches laitières particulièrement vulnérables et transforme le lait en un vecteur potentiel de transmission interespèces.
Le lait cru, nouveau réservoir viral
Des études menées par le Center for Disease Control and Prevention (CDC), le National Institutes of Health (NIH) et plusieurs universités américaines ont révélé que le lait de vaches infectées contient non seulement de l’ARN viral, mais aussi des particules virales infectieuses viables. Chez la souris, l’ingestion de ce lait a entraîné une infection systémique. Chez le furet, modèle préclinique de la grippe humaine, une infection par exposition nasale a également été observée, bien que la transmission entre individus reste limitée. Le lait cru devient donc un vecteur biologique actif, remettant en question les modèles classiques de diffusion du H5N1.
Premiers cas humains et transmission bovin-bovin
Trois cas humains ont été recensés chez des travailleurs agricoles exposés à des bovins infectés, qui ont présenté une conjonctivite et de légers symptômes grippaux. Ces cas, bien que bénins, confirment que le virus peut franchir la barrière des espèces. Parallèlement, plusieurs foyers de transmission directe entre vaches ont été documentés, probablement via le lait contaminé ou le matériel de traite. Le virus se diffuse ainsi au sein des élevages laitiers, sans nécessiter de vecteur aviaire.
La question de la pasteurisation
La Food and Drug Administration (FDA) a mené des contrôles sur les produits laitiers pasteurisés vendus dans le commerce, sans détecter le virus. Toutefois, des expériences en laboratoire ont montré que la pasteurisation standard pourrait ne pas être totalement efficace en cas de charge virale très élevée. Bien que le lait commercialisé reste sûr, ces résultats imposent une vigilance renforcée dans les exploitations touchées, notamment en ce qui concerne la production de lait cru destiné à la consommation directe.
Un virus en transition évolutive
Les analyses structurales et les séquençages récents montrent que le H5N1 bovin conserve une forte affinité pour les récepteurs aviaires, tout en acquérant une capacité partielle à se fixer aux récepteurs humains. Ce double tropisme, validé par l’imagerie cryoélectronique, suggère que le virus est en phase de transition évolutive, comme cela a été observé avant les pandémies grippales de 1957 ou 1968. La transmission interhumaine n’a pas encore été observée, mais les chercheurs estiment que le virus se rapproche du seuil critique.
Réponse sanitaire et approche “One Health”
Face à ces évolutions, la réponse sanitaire doit être rapide et coordonnée. Dans les élevages, les autorités recommandent la désinfection systématique des équipements de traite, la séparation des animaux malades, le dépistage du lait et la limitation des mouvements d’animaux.
Au niveau global, les scientifiques plaident pour une approche “One Health”, intégrant la santé animale, humaine et environnementale. Le développement de vaccins adaptés, notamment à ARNm pour les espèces sensibles, la surveillance génomique en temps réel et la coopération internationale sont autant de leviers essentiels pour anticiper une éventuelle transmission pandémique.
Le lait, nouveau signal d’alerte épidémiologique
Le lait, longtemps perçu comme un simple indicateur de production, devient aujourd’hui un marqueur biologique de l’émergence virale. Sa contamination par le H5N1 montre que le virus ne cesse de repousser les frontières de l’espèce, de l’organe et du mode de transmission.
Dans un contexte de zoonoses multiples, le cas du H5N1 chez les bovins rappelle une vérité fondamentale : les virus s’adaptent plus rapidement que nos systèmes de surveillance. Et ce sont parfois des milieux inattendus, comme les glandes mammaires de la vache, qui révèlent les failles de notre vigilance.