Depuis 25 ans maintenant, les progrès en biotechnologies ont accéléré le développement d’animaux génétiquement modifiés. Mais la généralisation de l’usage de ces techniques a également relancé le débat autour de la manipulation du vivant. Principalement utilisés en recherche biomédicale, les animaux de rente transgéniques font leur entrée sur le devant de la scène et pourraient bientôt être disponibles sur le marché. Plus nutritifs, sains, résistants et rentables, ils pourraient être la solution pour une indépendance agroalimentaire et sanitaire en Europe. Dans un premier temps, l’Académie vétérinaire de France (AVF) souhaite faire évoluer la réglementation, au bénéfice de la recherche française en matière d’édition génomique.
Les animaux génétiquement modifiés ne sont pas nouveaux. Cela fait plusieurs décennies qu’ils font partie intégrante du milieu de la recherche. Ils fournissent des informations cruciales sur la biologie moléculaire et cellulaire des mécanismes fondamentaux du vivant et des phénotypes pathogéniques. La souris génétiquement modifiée est la grande star des laboratoires, mais d’autres animaux commencent à susciter de l’intérêt depuis quelques années. C’est le cas des porcs, qui ressemblent physiologiquement et anatomiquement davantage à l’être humain. Les animaux de production, tels que les bovins et les petits ruminants, peuvent également être modifiés pour améliorer des caractéristiques spécifiques.
Dans l’optique d’étudier des mécanismes de résistance à des maladies ou des dysfonctionnements physiologiques, des chercheurs de l’université technique de Munich ont par exemple généré des poules et des porcs Cas9 avec des ciseaux génétiques intégrés. Il ne suffit que d’introduire des ARN guides pour modifier génétiquement, efficacement et à volonté différents organes chez les animaux, à n’importe quel stade de développement. Les chercheurs sont désormais en mesure d’introduire des mutations géniques spécifiques dans un organe souhaité ou même de corriger des gènes existants sans créer de nouveaux modèles animaux pour chaque gène cible. En accélérant et en simplifiant considérablement les processus de modification génétique et en rendant les modèles actuels plus pertinents, cela augmente la pertinence des découvertes tout en réduisant le nombre d’animaux nécessaires à la recherche.
Ainsi, un porc modifié peut aider à mieux comprendre le mécanisme de la cancérogenèse chez l’homme. Les animaux transgéniques Cas9 permettent, par exemple, d’inactiver spécifiquement les gènes pertinents pour les tumeurs et de simuler le développement du cancer. De nouveaux traitements potentiels pour l’homme peuvent également être testés sur des modèles animaux. Les porcs et les poulets Cas9, mais aussi les autres organismes génétiquement modifiés, permettent aux chercheurs de tester les gènes qui pourraient être impliqués dans la formation de caractères tels que la résistance aux maladies, directement chez l’animal, avec des retombées importantes dans la lutte contre les maladies inflammatoires ou infectieuses, par exemple. Les découvertes faites à partir des animaux génétiquement modifiés, au bénéfice des humains mais aussi des autres animaux, se comptent par millions.
Pour le moment, la majorité des travaux sur les animaux d’élevage génétiquement modifiés sont destinés à la recherche médicale ou sont encore au stade de concept, mais dans un futur proche, cela pourrait rapidement évoluer. Les chercheurs imaginent déjà des animaux modifiés pour être plus résistants aux maladies. Mais des modifications inspirées par des intérêts plus économiques, en faveur de l’industrie agro-alimentaire, pourraient également voir le jour, notamment pour accroître le taux de croissance, la qualité de la viande, la valeur nutritionnelle, la composition du lait, la résistance aux maladies et la survie.
S’il est possible de modifier génétiquement des animaux pour mieux comprendre certaines maladies, il est également possible de les modifier pour obtenir des caractéristiques physiques et physiologiques conformes aux attentes de la filière agro-alimentaire. Les espèces de rente pourraient ainsi être “améliorées”, avec des capacités reproductives accrues, une croissance plus importante, une valeur nutritionnelle plus élevée ou encore une plus forte capacité de résistance aux maladies. Avec une population mondiale en constante augmentation et des conditions climatiques changeantes, ces méthodes efficaces pour accroître la production alimentaire attirent de plus en plus. L’utilisation d’outils transgéniques en élevage améliorerait grandement l’efficacité, la productivité et la rentabilité des productions animales.
Pour le moment, en Europe, ces animaux ne sortent pas du cadre du laboratoire de recherche. Mais d’ici à quelques années, les rayons alimentaires pourraient bien proposer des produits issus de ces animaux. Des tests sont déjà en cours. Des porcs à la croissance plus rapide, qui produisent davantage de viande et de meilleure qualité, mais également avec une longévité accrue, des risques de maladies infectieuses réduits et un système immunitaire renforcé, ont déjà vu le jour. Les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni ont produit en 2017 des porcs insensibles au virus du syndrome dysgénésique et respiratoire porcin (SDRP), dont les pertes mondiales annuelles sont estimées à 2,5 milliards de dollars. Des chercheurs chinois ont également produit en 2018 des porcs résistants au virus de la peste porcine classique. De même, des moutons ont été modifiés pour améliorer leur immunité et la production de laine. En ce qui concerne les poulets, le succès pour accroître leur croissance est pour le moment limité, car la sélection conventionnelle a déjà poussé ce caractère dans ses limites biologiques. Cela n’a cependant pas empêché les scientifiques de chercher à améliorer leur résistance aux maladies, contre le virus H5N1 par exemple, ou encore la survie des poussins à l’éclosion. Pour les bovins, les traits améliorés concernent surtout leur état de santé général, mais aussi celui de la mamelle. Des vaches résistantes à l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ont également vu le jour.
En outre, la transgenèse a permis d’améliorer l’apport nutritionnel des animaux d’élevage, ce qui pourrait constituer un bénéfice important pour la santé humaine. Des poissons avec plus d’oméga 3 pourraient ainsi contribuer à une diminution de la fréquence des maladies coronariennes chez l’homme. Dans cette optique, des porcs transgéniques, contenant des niveaux élevés d’acides gras oméga 3, ont été produits en 2006. La production de produits animaux moins gras et plus nutritifs issus de la transgenèse pourrait permettre d’améliorer la santé publique. Ainsi, le nombre d’animaux d’élevage et de poissons génétiquement modifiés développés dans les laboratoires est en augmentation. Mais pour le moment, le nombre d’espèces sur le point d’entrer sur le marché reste faible.
Le premier animal génétiquement modifié autorisé à la consommation par l’homme a été mis sur le marché en 2015, par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis. Le super saumon transgénique confectionné par l’entreprise AquaBounty est capable d’atteindre sa taille adulte quatre fois plus vite que la normale. À l’époque, il avait déjà fait couler beaucoup d’encre et lancé de nombreux débats. Mais les Américains viennent de répéter l’expérience en autorisant, en décembre 2020, la mise sur le marché d’un porc génétiquement modifié pour la consommation humaine, mais cette fois pour un usage thérapeutique. Nommé GalSafe, et développé par l’entreprise Revivicor, ce porc est modifié pour que ses cellules ne contiennent plus de sucre alpha-gal (galactose-alpha) parfois à l’origine d’allergies. Les porcs GalSafe pourraient potentiellement fournir une source de “matériaux” pour fabriquer des produits médicaux humains, comme l’héparine ou le collagène, exempts d’alpha-gal détectable. Les porcs GalSafe pourraient également être une source de tissus et d’organes pour la transplantation chez l’homme. La production de ces porcs est encore discutée et est pour le moment limitée à mille spécimens par an. Il y a encore loin avant qu’ils arrivent sur le marché européen et français. Mais cela n’empêche pas les chercheurs de considérer cette éventualité, afin d’anticiper cette arrivée.
Un appel à faire évoluer la réglementation
En Europe, une réglementation est en place depuis le 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés. Mais récemment, une réflexion a eu lieu concernant l’évolution de cette directive 2001/18/CE du Parlement européen, considérée par certains comme obsolète. L’Académie vétérinaire de France (AVF) a notamment adressé une lettre à Ursula Von der Leyen pour dénoncer une directive dépassée. Elle exhorte la Commission à faire évoluer cette réglementation en prenant en compte les productions animales, afin de faciliter les recherches indispensables dans l’Union européenne sur l’édition génomique des animaux de production. L’objectif est de sortir la recherche européenne de son cul-de-sac actuel dans ce domaine.
Jean-Pierre Jégou, président de l’AVF, s’explique : « Il s’agit à ce stade de sauvegarder la recherche européenne et française, notamment en matière d’édition génomique. Elle est devenue très minoritaire (10 %) sur le plan mondial et cette situation intolérable met en cause la compétitivité et l’indépendance agro-alimentaire et sanitaire de l’Europe. Ce serait un moyen de rendre l’économie de l’Union durable, d’investir dans les technologies respectueuses de l’environnement et de soutenir l’innovation à la sortie de la crise sanitaire due à la Covid-19. »
Nombreux sont ceux qui ne comprennent pas les réticences envers cette technologie. La biotechnologie animale existe sous une forme ou une autre depuis le début de la domestication des animaux. Pendant des milliers d’années, les éleveurs ont sélectionné le bétail pour obtenir des produits de plus en plus nutritifs, sains et rentables. Pour Georges Freyssinet, président de l’Association française des biotechnologies du végétal, les nouvelles techniques d’édition du génome, regroupées sous l’acronyme NBT (New Breeding Techniques), ne sont qu’une continuation de cette sélection, mais plus efficace. Les organismes génétiquement modifiés sont obtenus par la transgenèse, c’est-à-dire l’introduction d’un gène complet. Dans le cas du recours aux NBT, il n’y a pas d’introduction de gènes extérieurs, mais un travail sur le génome existant. Le principal objectif est d’accélérer le processus de sélection de variants naturels qui sont actuellement introduits via de longs croisements. Pour Georges Freyssinet, « les mutations qui apparaissent pourraient également émerger dans la nature ». Il serait donc impossible de différencier un être vivant modifié d’un être vivant dont les gènes se seraient croisés au fil du temps. Mais, pour autant, les NBT continuent d’alimenter un débat aux nombreuses facettes : économique, scientifique, sociétale, écologique, etc.
L’AVF recommande donc qu’une législation communautaire adaptée au cas des animaux domestiques génétiquement modifiés voie rapidement le jour, pour établir un cadre réglementaire dépendant du type de modification génétique et prenant en compte l’évolution rapide de la technologie dans ce domaine, de manière à favoriser l’innovation. Cette législation devra tenir compte du fait que la plupart des recherches visant à produire des animaux dont le génome a été l’objet de modifications ciblées n’ont d’intérêt que dans la mesure où elles confèrent effectivement un avantage sur les plans sanitaire, du bien-être animal ou économique appréciable.