Leur choix de carrière fait, encore aujourd’hui, partie intégrante de l’identité professionnelle des vétérinaires. Pourtant, le paysage a changé, la profession s’est modernisée, adopte de plus en plus une culture d’entreprise, et ses valeurs sont en pleine (r)évolution. Une enquête* britannique a exploré la notion d’identité de carrière du vétérinaire, afin d’aider la profession à s’ajuster aux constantes évolutions de son secteur.
Le choix d’embrasser la carrière de vétérinaire fonctionne encore beaucoup à la vocation : nombre de vétérinaires prennent cette décision très jeunes, avec le sentiment d’être nés pour cela. En contrepartie, les vétérinaires en devenir ne sont souvent pas réalistes sur ce que la profession actuelle leur réserve. Ils peuvent alors se retrouver pris au piège dans une carrière à laquelle ils ne sont finalement pas adaptés.
L’enquête britannique publiée récemment examine le concept “d’identité de carrière” chez les vétérinaires, constatant que pour la plupart d’entre eux, leur activité professionnelle constitue la pierre angulaire de cette identité. Ainsi, celui qui fait le choix d’être vétérinaire le restera toujours. Quoi qu’il fasse dans la vie, il sera vétérinaire par-dessus tout. Comme l’étude l’indique, « la force de l’identité vétérinaire ne peut pas être sous-estimée ». En corollaire, cela peut rendre un éventuel changement de voie plus difficile, le processus émotionnel conduisant à abandonner la profession est en effet loin d’être évident.
L’éditorial** qui accompagne l’enquête indique par ailleurs un changement de mentalité : traditionnellement, l’identité professionnelle des vétérinaires était avant tout individualiste. Ils optaient volontiers pour un exercice en solo, apposant leur plaque et attendant les clients. Ce faisant, ils adoptaient leurs propres normes éthiques, avec un haut degré d’individualité, ce qui leur a permis d’être eux-mêmes tout en étant vétérinaires, avec une convergence satisfaisante entre leurs valeurs personnelles et le travail quotidien. Beaucoup d’étudiants vétérinaires sont encore dans cet état d’esprit.
Aujourd’hui, la réalité est différente, la culture d’entreprise est devenue la norme. La profession est de plus en plus exercée en sociétés, corporatiste, et les vétérinaires se tournent davantage vers le salariat plutôt que vers la pratique libérale. En tant qu’individus, ils éprouvent le besoin d’adhérer à des valeurs organisationnelles plutôt que personnelles. L’enquête révèle en outre que de nombreux vétérinaires voient les cliniques regroupées ou les grosses structures trop “commerciales” comme immorales. L’une des conséquences est que les jeunes diplômés passent d’un emploi à l’autre dans un effort pour trouver une identité de carrière (ce que je fais) qui corresponde à la vision de leur propre identité (ce que je suis). Or dans le monde du salariat vétérinaire, ils ne peuvent jamais atteindre ce qu’ils recherchent, ni combler ce décalage.
Selon les auteurs, les entreprises vétérinaires doivent relever le défi qui consiste à modifier positivement la façon dont leur éthique est perçue au sein de la profession… voire en changer. L’étude suggère également que ces entreprises peuvent obtenir un avantage concurrentiel et leurs salariés atteindre une validation et un enrichissement supérieurs en travaillant à la congruence de l’identité organisationnelle et individuelle. De même, former des professionnels qui gardent à l’esprit la réalité actuelle de l’entreprise permet de forger des diplômés avec une identité plus durable.
Ainsi, le développement de l’identité professionnelle est une partie cruciale de la formation vétérinaire. Car la façon de se percevoir en tant que professionnel a des conséquences sur le comportement, les principes déontologiques, et la façon d’interagir avec le monde.
L’identité de carrière est l’une des multiples identités sociales d’une personne, mais la socialisation dans la communauté professionnelle fournit un sentiment de stabilité, d’appartenance à des valeurs, et contribue à l’estime de soi. Si cette dernière est fortement tributaire de l’identité professionnelle, les individus peuvent devenir vulnérables lorsqu’elle est menacée, par exemple par la maladie, des plaintes, des erreurs, des procédures disciplinaires, une insatisfaction au travail ou encore des résultats cliniques défavorables. Ces menaces peuvent avoir des effets psychologiques catastrophiques chez les personnes qui ont beaucoup investi dans leur identité en tant que professionnels. Une analyse d’impact des poursuites et des procédures disciplinaires sur les vétérinaires fait défaut. Mais une enquête transversale récente sur les conséquences des actions contentieuses sur le bien-être, la santé et la pratique clinique de quelque 8 000 médecins au Royaume-Uni permet de constater que ceux qui y ont été confrontés présentaient un risque accru de dépression, d’anxiété et d’idées suicidaires (lire notre article).
Or la profession vétérinaire présente un taux élevé de suicides par rapport à la population générale. Certaines normes associées à l’identité vétérinaire peuvent saper son moral. Une meilleure compréhension de la façon dont cette identité se forme et se maintient, et de l’influence des menaces sur le risque de détresse psychologique et les problèmes de santé individuels, pourrait conduire à l’élaboration d’un soutien plus efficace aux vétérinaires en difficulté.
* http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25564471
** http://veterinaryrecord.bmj.com/content/176/17/431.full