Les substances toxiques anthropiques s’accumulent dans les écosystèmes marins et leurs habitants. Particulièrement touchés, les cétacés peuvent donc être utilisés pour surveiller les contaminants anthropiques des océans. Mieux comprendre la distribution de ces particules dans les populations de cétacés permet de mieux évaluer leur présence dans les écosystèmes.
De nombreuses substances toxiques d’origine humaine sont rejetées dans les écosystèmes marins. Provenant de sources variables, ces contaminants se biodégradent souvent mal et lentement. Beaucoup persistent pendant des décennies, voir des siècles.
Et sans surprise, leur concentration dans l’environnement a augmenté de façon exponentielle ces dernières années.
Sans pointer particulièrement un contaminant plus qu’un autre, le plastique est un exemple très parlant. Débris marins particulièrement nocifs, les plastiques se dégradent très lentement et s’accumulent rapidement dans l’environnement… et les animaux.
Et plus qu’une agglomération dans l’océan, et par ingestion, dans toutes sortes d’organismes, les plastiques et autres déchets contiennent et attirent des contaminants nocifs qui peuvent s’accumuler dans les organismes et constituer une menace pour leur santé, y compris leur reproduction, développement et immunité.
D’autant plus que ces produits chimiques toxiques ont tendance à se bioamplifier dans le réseau trophique marin et donc à s’accumuler dans les tissus corporels d’organismes trophiques supérieurs. Et ce, au point que certains éléments avec une fonction biologique et essentiels à la vie, à trop haute concentration, deviennent mortels. On pense au fer, manganèse, ou encore au zinc.
En tant que prédateurs au sommet de la chaine alimentaire et avec une durée de vie relativement longue, certains cétacés sont particulièrement touchés. Des concentrations d’éléments inorganiques dans les odontocètes, ou cétacés à dents, ont été documentées dans de nombreux tissus, notamment la graisse, le foie, les reins, la peau et le sang, provoquant des effets néfastes, notamment des lésions rénales, une immunosuppression et des troubles neurologiques, développementaux et reproductifs.
Les odontocètes, sont donc des espèces sentinelles de la santé des écosystèmes et des menaces anthropiques chimiques. Ils peuvent donc être utilisés pour surveiller les contaminants anthropiques des océans.
En effet, outre les nombreux polluants déjà présents dans la biosphère, des centaines de nouveaux composés avec des tests de toxicité incomplets, entrent chaque année sur le marché de la consommation et donc dans les océans. Il en résulte un décalage considérable entre la mise sur le marché de ces produits chimiques et le moment où on comprend leurs effets sur la santé des individus, des populations et des écosystèmes.
Dans un effort de rattraper la production de l’industrie chimique et de fournir plus d’informations sur les contaminants anthropiques existants dans les odontocètes en liberté, des scientifiques américains ont cherché à établir par spectrométrie de masse les concentrations de base de plusieurs contaminants anthropiques largement utilisés et dispersés, dans le foie et la graisse de 83 odontocètes échoués du sud-est des États-Unis entre 2012 et 2018 en fonction de paramètres démographiques (espèce, sexe, classe d’âge et lieu d’échouage) tout en décrivant les lésions histopathologiques.
Ainsi, les chercheurs remarquent que les concentrations de substances toxiques varient notamment en fonction de l’espèce, le sexe, l’âge et du lieu.
Comparés aux cachalots pygmées, les grands dauphins présentent des concentrations plus élevées en plomb, manganèse, mercure, sélénium, thallium et zinc et plus faibles en NPE, arsenic, cadmium, cobalt et fer. Les femelles adultes ont tendance à avoir des concentrations significativement plus élevées en arsenic et nettement inférieure en fer comparé aux mâles adultes.
De plus, les adultes avaient des concentrations plus élevées en plomb, mercure et sélénium, et plus faibles en manganèse comparé aux juvéniles. Et les dauphins échoués en Floride avaient des concentrations plus élevées en plomb, mercure et sélénium, et plus faibles en fer que les dauphins échoués en Caroline du Nord.
Ces données améliorent considérablement la base de connaissances existante concernant les concentrations de substances toxiques dans les odontocètes échoués. Il s’agit notamment du premier rapport publié qui examine les concentrations d’atrazine, de DEP, de NPE et de triclosan dans les tissus de graisse de cétacés échoués. L’étude est également la première à rapporter des concentrations de substances toxiques chez un dauphin à bec blanc et chez les baleines à bec de Gervais, espèces pour lesquelles la littérature scientifique reste éparse.
La documentation des substances toxiques chez les cétacés est une étape critique dans le traçage des contaminants chimiques dans le réseau trophique marin et la compréhension de leurs effets sur les systèmes biologiques. Ainsi relier les concentrations aux données démographiques et histopathologiques animales permet de mieux comprendre les facteurs secondaires (biotiques ou abiotiques) qui peuvent influencer l’exposition et les effets biologiques de certains éléments toxiques qui peuvent entraîner une détérioration de la santé et, en combinaison avec d’autres facteurs, peuvent contribuer à l’échouement.