Varroa n’est pas un vampire comme on le croyait, plutôt un loup-garou. Une nouvelle étude, menée par l’université américaine du Maryland, remet en cause les théories admises de longue date concernant les habitudes alimentaires de l’acarien Varroa destructor, l’ennemi numéro un des abeilles mellifères partout dans le monde. Ce parasite est responsable de mortalités massives au sein des cheptels d’abeilles domestiques. L’étude, en améliorant la compréhension de la relation entre le parasite et son hôte, ouvre la voie à des traitements plus efficaces contre l’acarien Varroa.
Les colonies d’abeilles mellifères du monde entier sont exposées à de multiples dangers, parmi lesquels les pesticides et autres insecticides, les maladies, les prédateurs, le manque de nourriture dû à la disparition et à la fragmentation des habitats naturels, le changement climatique, etc. Mais des recherches récentes suggèrent qu’une menace dépasse de loin toutes les autres : l’acarien Varroa destructor, spécialisé dans l’infestation des abeilles domestiques (Apis mellifera). Ce parasite est une préoccupation permanente pour les apiculteurs car, fragilisant les ruches du monde entier, il constitue la cause majeure des pertes de colonies.
Pendant des décennies, les chercheurs ont supposé que l’acarien Varroa se nourrissait de sang (hémolymphe chez les insectes), comme beaucoup de ses cousins acariens et des tiques. Mais la nouvelle étude américaine montre que Varroa destructor a plutôt un féroce appétit pour les corps gras de l’abeille domestique, des réserves de graisse réparties dans l’abdomen sous la forme d’un tissu adipeux qui remplit des fonctions vitales similaires à celles du foie humain. Ce tissu adipeux est aussi un lieu de stockage de la nourriture et de la vitellogénine, qui stimule le système immunitaire des abeilles.
La perte de tissu adipeux dégrade la capacité des abeilles à détoxifier leur organisme exposé notamment aux pesticides et les prive de réserves vitales de nourriture. Absolument essentiel à leur survie, les corps gras, en plus d’éliminer les toxines et de stocker les nutriments, produisent des antioxydants, contribuent à la défense du système immunitaire, jouent un rôle important dans le processus de métamorphose, et fabriquent également la cire qui recouvre une partie des exosquelettes des abeilles, empêchant la pénétration de l’eau et des maladies.
Pour les auteurs, l’hypothèse selon laquelle Varroa se nourrit de sang remonte à la publication du premier article sur le sujet, dans les années 1960. Plusieurs observations les ont amenés à mettre en doute ce postulat. Premièrement, l’hémolymphe d’insecte est très pauvre en nutriments. Pour se développer et se reproduire au rythme effréné de cet acarien, il faudrait qu’il soutire une quantité de sang bien supérieure à celle disponible chez une seule abeille. Deuxièmement, les excréments de Varroa sont secs, contrairement à ceux issus d’un repas sanguin. Enfin, l’appareil buccal de l’acarien est plutôt adapté à la consommation et à la digestion de tissus mous, à la différence de celui des acariens qui se nourrissent de sang, équipés de pièces buccales conçues pour percer la peau et aspirer le liquide.
En outre, si Varroa se nourrissait d’hémolymphe, répartie uniformément dans tout le corps de l’abeille, il n’aurait pas adopté une zone d’ancrage préférentielle, comme c’est pourtant le cas. Quand il se nourrit d’abeilles immatures, l’acarien mange n’importe où sur leur corps. Mais quand il s’attaque à des abeilles adultes, l’équipe a constaté une forte préférence pour le dessous de l’abdomen (localisation de plus de 90 % des parasites observés).
Ensuite Samuel Ramsey et son équipe ont analysé, via une technique de congélation dans de l’azote liquide, les acariens et leurs hôtes abeilles en action au moment du repas. Grâce à de puissants microscopes électroniques, ils ont pu visualiser les plaies de morsure et constater que les parasites se nourrissaient bien de tissu adipeux, révélant des morceaux digérés de cellules graisseuses. Il ne restait plus qu’à vérifier que le sang ne faisait pas également partie du festin.
Pour confirmer leurs observations, des abeilles ont reçu un aliment contenant deux colorants fluorescents : l’uranine, un colorant hydrosoluble jaune, et le rouge du Nile, un colorant liposoluble rouge. Si les Varroa consommaient l’hémolymphe, leur tube digestif devait prendre une teinte jaune vif après le repas. En revanche, s’ils se nourrissaient de corps gras, une coloration rouge révélatrice apparaîtrait.
Dès le premier acarien observé, la preuve est là : son appareil digestif rougeoyait comme le soleil couchant. Pour les auteurs, ces acariens ne sont donc pas des vampires assoiffés de sang, mais ressemblent davantage à des loups-garous. Pour enfoncer le clou, ils effectuent une dernière expérience. Des Varroa sont ainsi élevés en laboratoire, nourris avec un régime alimentaire composé soit d’hémolymphe soit de tissu adipeux. Les résultats sont lumineux : les acariens alimentés avec du sang sont morts de faim, tandis que les autres ont prospéré, voire ont pondu des œufs.
Ces résultats pourraient révolutionner la compréhension des ravages causés aux abeilles par les acariens. Les corps gras remplissent de nombreuses fonctions cruciales chez ces insectes. Mieux comprendre les dégâts subis individuellement par les abeilles va permettre de compléter les connaissances sur la manière dont Varroa infeste les colonies. Cela permet également d’envisager l’élaboration de nouveaux traitements plus efficaces et mieux ciblés pour lutter contre cet acarien.