
Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) publie un cadre opérationnel avec quatorze scénarios pour guider, en temps réel, la réponse des États face aux risque de pandémie d’influenza A (H5N1) et autres grippes d’origine animale.
Alors que la grippe aviaire hautement pathogène à H5N1 circule à des niveaux inédits chez les oiseaux sauvages en Europe, les experts européens de santé publique s’emploient à préparer la réponse avant même que ne survienne le premier cas humain. L’ECDC vient de publier un cadre opérationnel destiné à aider les pays de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (EEE) à faire face à la grippe d’origine animale chez l’humain, qu’il s’agisse de virus aviaires comme H5N1 ou de virus d’origine porcine. L’objectif de ce document n’est pas de prédire la date de la prochaine pandémie, mais de standardiser la réponse aux signes d’alerte même discrets : apparition d’un cas isolé, survenue d’un petit foyer familial, détection de mutations suggérant une meilleure adaptation aux mammifères, premiers indices de résistance aux antiviraux ou d’inadéquation avec les vaccins disponibles. Autant de situations où quelques jours de retard peuvent peser lourd sur la suite des événements.
Table des matières
Quatorze scénarios de “prépandémie”
La conduite à tenir élaborée par l’ECDC repose sur quatorze scénarios dits prépandémiques. Chaque scénario combine plusieurs paramètres :
- l’origine animale du virus en cause ;
- le nombre de cas humains recensés et leur contexte (absence de cas, cas sporadiques, foyers localisés) ;
- le lien plus ou moins établi avec une exposition à des animaux infectés ;
- les signaux de gravité, d’adaptation aux mammifères, de résistance aux antiviraux ou de décalage par rapport aux antigènes visés par d’éventuels vaccins préventifs.
La situation actuelle en Europe sert de point de départ. Aucun cas humain lié aux virus grippaux n’y est rapporté pour le moment, mais H5N1 circule largement chez les oiseaux sauvages et des foyers surviennent encore régulièrement dans les élevages avicoles. C’est le niveau de base sur lequel les États sont invités à s’auto-évaluer : capacité des systèmes de surveillance à repérer un signe inhabituel, disponibilité des tests virologiques, existence de stocks d’antiviraux, clarté de la chaîne de décision et articulation avec les services de santé animale.
Dès la survenue d’un premier cas humain dans l’Union européenne ou l’EEE, le scénario change de nature. On entre alors dans des configurations d’émergence ou d’introduction, où l’on doit décider si l’événement reste strictement lié à une exposition animale ou s’il suggère un début de transmission interhumaine. À mesure que le nombre de cas augmente, que les foyers se multiplient et que des éléments virologiques inquiétants émergent, le cadre prévoit une montée en puissance graduée des réponses.
Un guide pratique pour les autorités sanitaires
L’un des intérêts de cet outil est sa dimension opérationnelle. Pour chaque scénario, le document rappelle d’abord ce qui doit être en place en permanence : une surveillance syndromique et virologique capable de détecter des cas inhabituels, des laboratoires formés à l’usage de tests spécifiques pour les virus aviaires ou porcins, des circuits de partage de données entre les régions et les pays. Puis il décrit les mesures complémentaires à activer lorsqu’un seuil est franchi.
Sur le plan de la surveillance, il peut s’agir d’élargir les critères de test dans certains services d’urgence ou chez les médecins généralistes, d’augmenter la fréquence du séquençage génomique ou de mettre en réseau, en temps quasi réel, les données issues de la santé humaine et de la santé animale. Côté laboratoires, l’ECDC insiste sur la capacité à monter en charge rapidement : disponibilité des réactifs, panels de contrôle, plateformes de RT-PCR adaptées à des sous-types particuliers, circuits pour déposer et analyser les génomes sur des bases internationales, etc.
Le document aborde aussi la protection des travailleurs exposés. Il s’agit notamment des éleveurs, des vétérinaires, des personnels d’abattoirs, des agents chargés de la collecte de carcasses d’animaux sauvages ou encore des employés intervenant dans les foyers aviaires. Le texte décrit les principes d’une surveillance médicale ciblée de ces groupes et envisage, dans certains scénarios avancés, l’utilisation d’antiviraux à titre prophylactique.
En matière de communication du risque, l’ECDC insiste sur une exigence de clarté : il s’agit d’expliquer sans minimiser ni dramatiser, d’actualiser les messages au fur et à mesure du passage d’un scénario à l’autre, de maintenir un dialogue constant avec les professionnels de santé, les filières agricoles et le grand public. Il est recommandé de préparer en amont le discours à tenir plutôt que d’improviser en situation de crise.
Une préparation dans une logique One Health
Ce cadre opérationnel prolonge les travaux menés ces dernières années de façon conjointe par l’ECDC, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et l’Agence européenne des médicaments (EMA) sur le risque zoonotique des virus de l’influenza aviaire, les stratégies de vaccination en élevage et la surveillance intégrée aux frontières entre faune sauvage, élevages et populations humaines.
D’emblée, l’approche adoptée est celle de One Health. La circulation du virus chez les oiseaux sauvages, les volailles, les porcs ou d’autres mammifères n’est pas considérée comme une information périphérique, mais comme un préalable au raisonnement sur le risque pour l’humain. Le document encourage les investigations conjointes lors de foyers aviaires jugés préoccupants : identification rapide des personnes exposées, définition de protocoles de test chez les professionnels concernés, coordination des analyses génomiques entre laboratoires vétérinaires et de santé humaine.
Le cadre évoque également la possibilité d’utiliser des vaccins dits prépandémiques dans des groupes ciblés de travailleurs, lorsque certains signaux virologiques sont réunis et que des produits adéquats sont disponibles. L’idée n’est pas de lancer des campagnes massives sur des hypothèses, mais de ne pas se retrouver, faute de réflexion préalable, dans une situation d’improvisation totale si un virus d’origine aviaire ou porcine gagne en transmissibilité chez l’humain.
Un avertissement sans alarmisme
Pour Edoardo Colzani, spécialiste des virus respiratoires à l’ECDC, le message central est que le risque pour la population générale en Europe reste aujourd’hui faible, mais qu’il serait imprudent de compter sur la chance. La probabilité de voir apparaître, à un moment ou à un autre, des cas humains sporadiques liés à H5N1 ou à un autre virus d’influenza animale n’est pas nulle, compte tenu de l’intensité de la circulation virale chez les animaux. L’enjeu, répète l’agence, est de ne pas manquer les signaux précoces, comme ce fut le cas au début de la pandémie de Covid-19.
Ce cadre prépandémique s’adresse d’abord aux autorités nationales, aux agences sanitaires et aux laboratoires de référence, mais ses implications dépassent ce cercle. Il préfigure des décisions susceptibles d’affecter le quotidien : renforcement ciblé de la surveillance dans telle ou telle région, recommandations spécifiques pour certaines professions, organisation de la distribution d’antiviraux à des groupes particuliers, voire discussions sur la vaccination limitée à des travailleurs en première ligne.
En rendant cet outil public et en détaillant les scénarios envisagés, l’ECDC fait le pari de la transparence et de la préparation. Dans un contexte où les rumeurs de “nouvelle pandémie imminente” prospèrent facilement, il s’agit de montrer que la réflexion ne se résume ni au déni ni à l’alarme permanente, mais à un travail patient de planification.
Anticiper plutôt que subir
Alors que le virus H5N1 s’installe durablement dans la faune sauvage de plusieurs continents et que l’on découvre régulièrement de nouveaux hôtes chez les mammifères, l’Europe tente de combler un retard souvent pointé du doigt lors des crises précédentes. En définissant à l’avance des scénarios et des réponses graduées, le vieux continent espère ne pas revivre le sentiment d’improvisation qui a marqué les premiers mois de 2020. Ce cadre n’empêchera pas l’émergence d’un virus d’influenza aviaire ou porcine capable de passer la barrière des espèces, mais il peut en revanche aider à mieux maîtriser la situation le moment venu, la réaction à adopter ne dépendant plus uniquement de quelques individus, mais d’un plan pensé et préparé en amont.

