
Une équipe de la Lincoln Memorial University (Tennessee) rapporte, pour la première fois, la détection d’ADN de Leptospira dans les reins de poissons d’eau douce, ainsi que d’anticorps circulants, ce qui suggère un possible rôle des poissons dans l’écologie de la leptospirose au sein des écosystèmes fluviaux en Appalachie. L’article met en lumière un angle mort dans la surveillance “One Health”, la faune aquatique, jusqu’ici marginale dans les modèles de transmission.
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Une zoonose classiquement véhiculée par les mammifères
La leptospirose, une zoonose mondiale liée à des spirochètes du genre Leptospira, est classiquement transmise par des mammifères réservoirs porteurs d’infections rénales chroniques et qui excrètent des bactéries viables dans leurs urines. Les auteurs rappellent avoir déjà identifié, dans la même région, des rongeurs insectivores mais aussi des amphibiens et des reptiles comme hôtes de Leptospira, ce qui pose la question du continuum aquatique dans la persistance de l’agent pathogène dans l’environnement.
Première détection d’ADN de Leptospira dans un rein de poisson
Sur sept sites de Powell River (est du Tennessee), 238 poissons appartenant à 19 genres ont été prélevés. Les reins ont été testés par qPCR ciblant les espèces pathogènes de Leptospira. Des prélèvements sanguins ont permis un titrage sérologique via un test de microagglutination. La prévalence globale de positivité (ADN et/ou anticorps) atteint 4,62 %, dont 1,26 % de positifs par qPCR rénale et 3,38 % de séropositifs à l’agglutination.
La détection de l’ADN de Leptospira dans les reins de poissons suggère au minimum une exposition non fortuite. Couplée à la séropositivité observée, l’hypothèse d’une implication des poissons dans la persistance environnementale des leptospires mérite désormais une investigation ciblée (culture, typage, essais d’infectiosité).
Place des poissons dans le cycle épidémiologique
La première hypothèse considère les poissons comme des sentinelles de l’écosystème : leur séropositivité refléterait une circulation des leptospires diffuse dans l’environnement hydrique contaminé par les urines des mammifères réservoirs. La seconde, plus ambitieuse, envisage une implication active de certaines espèces piscicoles, via une colonisation rénale et, potentiellement, une excrétion vers le milieu extérieur. Pour trancher, il faudra confirmer la viabilité des souches (culture), documenter la charge bactérienne, établir la phylogénie des leptospires détectés et conduire des études expérimentales de transmission.
Limites et prudence
Les résultats reposent sur un faible nombre de positifs et une seule rivière. La PCR confirme la présence d’ADN mais pas la viabilité des leptospires, et le test d’agglutination peut croiser plusieurs sérovars. La généralisation à d’autres bassins, saisons et espèces nécessitera un échantillonnage élargi et des approches multimodales (culture, qPCR quantitative, métagénomique, histopathologie).
Si l’implication des poissons se confirme, la cartographie du risque de leptospirose devrait intégrer des variables aquatiques (densité piscicole, connectivité hydrologique, qualité de l’eau), avec des conséquences sur la gestion des loisirs nautiques, de l’aquaculture et des captages.
Pour les praticiens, en période de crues ou d’activités aquatiques, l’anamnèse devra considérer l’exposition à l’eau et aux poissons comme facteurs contributifs, y compris dans des régions à faible réservoir mammifère connu. Pour les services vétérinaires et environnementaux, l’ajout de poissons sentinelles à la surveillance des leptospires dans les rivières pourrait affiner les modèles spatio-temporels d’alerte.
La prochaine étape est d’isoler les leptospires détectés, de les séquencer pour relier les profils aux souches circulant chez les mammifères réservoirs locaux, et de modéliser la dynamique conjointe faune terrestre-faune aquatique-humain dans les écosystèmes hydriques d’Appalachie. Le résultat déterminera si les poissons sont des réservoirs, des hôtes de passage ou de simples bio-indicateurs d’un environnement contaminé.