
Depuis 2021, les États-Unis affrontent une épidémie d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP H5N1) d’une ampleur inédite. Plus de 500 cas de transmission directe du virus des oiseaux sauvages aux volailles domestiques ont été confirmés entre 2022 et 2023. Des millions de volailles ont dû être abattus, provoquant des pertes économiques colossales et des perturbations de la chaîne alimentaire.
Face à ce constat, des chercheurs américains ont développé un modèle intégrant à la fois des données environnementales (climat, habitat, abondance de la faune sauvage) et des informations issues d’enquêtes de terrain menées auprès d’élevages de dindes, particulièrement vulnérables aux contaminations. Leur objectif : identifier les facteurs qui augmentent ou réduisent le risque de transmission afin de mieux cibler les mesures de biosécurité et la surveillance sanitaire.
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Oiseaux aquatiques et climat : deux facteurs de risque
Le modèle confirme ce que la surveillance avait déjà suggéré : les oiseaux aquatiques migrateurs, et notamment les canards dits barboteurs, sont les principaux réservoirs et diffuseurs du virus IAHP. Leur biologie (alimentation dans les eaux de surface, excrétion massive du virus par voie cloacale) contribue à la forte contamination de l’environnement. Les conditions climatiques modulent ce risque : les chercheurs montrent que des hivers froids et humides favorisent la persistance du virus dans l’eau et dans le sol. À l’inverse, des températures plus élevées limitent la survie des agents pathogènes. La combinaison d’une forte abondance d’oiseaux aquatiques et d’hivers rigoureux et pluvieux constitue donc un scénario particulièrement favorable au passage du virus des oiseaux sauvages vers les élevages domestiques.
Les pratiques humaines, facteur aggravant ou protecteur
Si les oiseaux sauvages sont à l’origine du risque, ce sont souvent les activités humaines qui contribuent à l’introduction du virus dans les élevages. Les chercheurs montrent que la circulation de véhicules, le partage de matériels et les allées et venues de personnes sur les exploitations jouent un rôle clé. Ces résultats soulignent que la contamination n’est pas seulement une question de contact entre oiseaux sauvages et volailles domestiques : elle dépend aussi de la manière dont sont gérés l’accès, l’hygiène et la logistique en élevage.
L’importance de la gestion des litières et des cadavres
L’étude met aussi en évidence un facteur souvent sous-estimé : la gestion des litières et des carcasses de volailles. Les élevages qui chauffent la litière fraîche avant son utilisation réduisent drastiquement le risque, la chaleur inactivant le virus. À l’inverse, l’utilisation de sites de dépôt partagés pour les cadavres multiplie les probabilités de contamination croisée entre les exploitations. Le simple fait d’introduire de la litière non traitée récemment livrée augmente aussi le risque de transmission. Ces résultats illustrent combien la biosécurité doit être pensée comme un ensemble cohérent de mesures, intégrant aussi la gestion des déchets et des sous-produits d’élevage.
Les dindes plus vulnérables que les poulets
Les analyses comparatives montrent que les élevages de dindes présentent un risque supérieur à ceux de poulets. Plusieurs explications sont possibles : densité plus élevée des lots, organisation des bâtiments, caractéristiques biologiques propres à l’espèce, etc. Ce constat justifie une vigilance particulière dans les États producteurs de dindes, comme le Minnesota, où des foyers récurrents sont observés.
Des outils de surveillance et de prévention
En intégrant les données environnementales, climatiques et de terrain, le modèle développé constitue un outil prédictif efficace. Il permet d’identifier les régions et les périodes de l’année les plus propices aux contaminations. Ainsi, la surveillance sanitaire peut être renforcée de façon ciblée, par exemple en période de migration intense des canards ou lors des hivers froids et pluvieux. Les chercheurs suggèrent également d’exploiter des outils comme BirdCast (qui modélise en temps réel les migrations d’oiseaux) ou les données de télémétrie pour anticiper les pics de risque. Ces informations pourraient être croisées avec les plans de biosécurité afin d’optimiser les pratiques et d’éviter la « fatigue » des éleveurs face à des consignes trop lourdes à appliquer en continu.
Une approche “One Health” indispensable
Au-delà de la protection des élevages, les auteurs rappellent que la transmission du virus IAHP de la faune sauvage aux volailles peut entraîner le mécanisme inverse (spillback), alimentant un cycle d’infections croisées qui entretient la circulation virale. De plus, la dissémination récente du H5N1 à de nouvelles espèces, y compris les bovins laitiers et certains mammifères, illustre la nécessité d’adopter une approche globale de type “One Health”.
Cette étude démontre que la prévention des risques liés à l’influenza aviaire ne peut se résumer à quelques recommandations générales. C’est la combinaison d’une surveillance ciblée, d’une prise en compte des facteurs environnementaux et de mesures de biosécurité pragmatiques qui permettra de mieux protéger les élevages, la faune sauvage et, à terme, la santé humaine.
Une étude montre que la circulation du virus de l’influenza aviaire dépend autant des oiseaux migrateurs et du climat que des pratiques humaines de biosécurité.