
Une publication alerte sur le rôle des animaux de compagnie dans l’évolution des virus influenza A et le risque pandémique.
Pendant longtemps, les chiens et les chats ont été épargnés par la circulation des virus grippaux. Les virus influenza A sévissaient chez les oiseaux sauvages, dans les élevages de volailles, de porcs, et bien sûr chez les humains. Or depuis le début des années 2000, les animaux de compagnie sont devenus des acteurs à part entière de l’écologie de la grippe A, avec un potentiel de risque bien au-delà de la sphère vétérinaire. La présence de virus de la grippe canine et la détection croissante de virus de la grippe aviaire hautement pathogène chez le chat ont suscité des inquiétudes quant à leur rôle potentiel d’hôtes intermédiaires dans l’émergence des pandémies.
Les auteurs synthétisent 20 ans de travaux sur les virus influenza A chez le chien et le chat, en particulier les sous-types H3N2 (canin) et H5N1 (hautement pathogène, d’origine aviaire). D’un côté, ces virus montrent une capacité croissante à s’adapter à des hôtes mammifères à l’interface humain-animal, dans des contextes où les contacts sont quotidiens et prolongés. De l’autre, la plupart des signaux observés plaident pour un risque réel mais encore largement contrôlable, à condition de prendre ce réservoir au sérieux dans une logique “One Health”.
Table des matières
Chiens : un virus aviaire devenu endémique
Le premier tournant s’est joué chez le chien. En 2004, un virus de la grippe H3N8 d’origine équine est identifié chez des lévriers de course aux États-Unis, avec une transmission de chien à chien. En 2007, c’est un virus H3N2 d’origine aviaire qui émerge chez le chien en Corée du Sud, probablement à la faveur d’une exposition à des volailles infectées. Le nouveau venu réussit là où le H3N8 a échoué : il s’adapte, devient transmissible de façon stable et s’installe comme virus endémique en Asie de l’Est, avec des vagues épidémiques dans les refuges, pensions et élevages canins.
Introduit en Amérique du Nord en 2015, ce H3N2 canin déclenche plusieurs flambées dans des refuges et chenils américains avant de disparaître localement, mais continue de circuler et de revenir via des réintroductions successives depuis l’Asie. Depuis 2022, rappellent les auteurs, le virus H3N2 est le seul sous-type influenza spécifiquement canin qui circule encore dans le monde.
Sur le plan moléculaire, ce virus porte toute une série de mutations caractéristiques des adaptations aux mammifères : modifications dans les gènes de la polymérase qui améliorent la réplication, changements dans l’hémagglutinine qui optimisent la liaison aux récepteurs des voies respiratoires, ajustements des protéines qui favorisent l’évasion immunitaire… Autrement dit, le chien n’est plus une simple victime collatérale d’un virus aviaire, il héberge désormais sa propre lignée d’influenza.
Chats : H5N1, l’ombre portée de la panzootie
Chez le chat, le scénario est différent et plus inquiétant. Le virus H3N2 n’a pas réussi à s’installer durablement. En revanche, les cas d’infection par le H5N1 hautement pathogène se multiplient depuis l’émergence du clade 2.3.4.4b, à l’origine de la panzootie mondiale actuelle. Des foyers parfois mortels sont rapportés chez des chats domestiques en Europe, en Asie et en Amérique du Nord, souvent avec des manifestations neurologiques sévères.
L’étude rappelle que l’exposition est avant tout alimentaire et environnementale. Plusieurs épisodes épidémiques en Pologne, en Corée du Sud et ailleurs ont été reliés à des régimes à base de volaille crue : dans certains cas, le virus H5N1 a été détecté directement dans les aliments pour chats issus de viandes de poulet ou de canard. En 2024 et 2025, des clusters de chats morts aux États-Unis ont été reliés à la consommation de lait cru provenant de vaches laitières infectées, confirmant que le chat contracte principalement l’infection par voie alimentaire.
Les chats d’extérieur ou errants s’infectent en chassant ou en consommant des cadavres d’oiseaux sauvages contaminés, voire en fréquentant des environnements souillés par leurs fientes. Une enquête sérologique menée en France entre 2023 et 2025, citée par les auteurs, a retrouvé des anticorps anti-H5 chez environ 2 % des chats d’extérieur, avec un risque accru chez les animaux errants et chasseurs, signe d’infections souvent passées inaperçues.
L’interface humain-animal source d’hybridation virale
Les virologues sont préoccupés par l’écosystème viral que les animaux atteints abritent. Les chiens et les chats partagent le même espace de vie que les humains, avec des contacts rapprochés qui n’ont rien à voir avec ceux au sein d’un élevage ou d’un troupeau. Ils peuvent être exposés à des virus aviaires via leur alimentation ou l’environnement, mais aussi à des virus humains hébergés par leurs propriétaires, comme on l’a vu lors de la pandémie de H1N1 en 2009, avec des transmissions documentées de l’humain vers le chat ou le chien.
Le risque théorique est connu : si un animal est coïnfecté par un virus aviaire et un virus humain, les huit segments du génome influenza peuvent se recombiner pour générer un virus hybride, potentiellement doté à la fois d’une bonne adaptation aux voies respiratoires humaines et de gènes d’origine aviaire contre lesquels notre immunité collective est faible. Pour le moment, insistent les auteurs, aucun virus de ce type n’a émergé chez le chien ou le chat. Mais plusieurs mutations dites adaptatives, observées dans les isolats félins et canins, sont les mêmes que celles déjà associées à une meilleure affinité pour les mammifères dans d’autres lignées grippales.
L’étude nuance toutefois ce constat alarmiste. Documentés avec précision, les cas de transmission de l’animal de compagnie vers l’humain restent rares, comme l’épisode de virus H7N2 transmis par des chats à des soignants aux États-Unis. Le principal risque aujourd’hui réside dans l’accumulation silencieuse de mutations et de segments d’origine diverse chez des hôtes proches de l’humain.
Alimentation crue, refuges, cliniques : des interfaces à haut risque
Au-delà des mécanismes moléculaires, l’article insiste sur quelques éléments clés. L’alimentation crue est pointée du doigt. Les régimes à base de viande crue ou de lait non pasteurisé, très en vogue chez certains propriétaires, offrent au virus une porte d’entrée privilégiée, via la viande de volaille issue d’abattoirs touchés par le H5N1, de lait cru issu de troupeaux laitiers infectés, de produits congelés dans lesquels le virus peut persister pendant des semaines, etc. Plusieurs épisodes récents (rappel de lots de nourriture crue pour chats aux États-Unis, mortalité de chats après la consommation de lait cru contaminé) viennent confirmer ces craintes.
Autre interface sensible : les refuges, pensions et élevages canins à forte densité. Dans ces structures, le virus H3N2 canin se transmet très efficacement par voie respiratoire, via les aérosols et les surfaces contaminées. Une introduction suffit souvent à entraîner une flambée. Les auteurs rappellent que ce virus reste, à ce stade, largement confiné à l’espèce canine, mais que chaque épidémie constitue une occasion supplémentaire d’affiner son adaptation aux mammifères.
Les cliniques vétérinaires jouent aussi un rôle ambivalent. Elles sont à la fois des sentinelles, puisqu’elles reçoivent les animaux malades, réalisent des prélèvements et peuvent séquencer des virus, et des lieux d’une possible diffusion virale si la biosécurité est insuffisante. D’où l’appel à intégrer systématiquement la grippe A dans les tests diagnostiques respiratoires chez les carnivores domestiques lorsque le contexte s’y prête.
Surveiller sans alarmer
Les auteurs plaident pour une surveillance ciblée des interfaces les plus risquées : chaînes d’approvisionnement en aliments crus pour animaux de compagnie, refuges et pensions à forte densité, fermes laitières exposées au H5N1, cliniques vétérinaires dans les zones fortement touchées par la grippe aviaire.
Pour les propriétaires, le message reste simple et pragmatique : éviter de nourrir chiens et chats avec de la viande de volaille crue ou du lait cru en période de circulation intense du virus H5N1, limiter les sorties non surveillées dans des zones où des oiseaux sauvages sont retrouvés morts, et consulter rapidement un vétérinaire en cas de signes respiratoires ou neurologiques inhabituels, surtout si l’animal vit à proximité d’élevages ou de lacs fréquentés par les oiseaux aquatiques.
Pour les autorités sanitaires, intégrer les animaux de compagnie dans les scénarios de gestion du risque de la grippe A ne signifie pas ouvrir un nouveau front, mais reconnaître une évidence : dans un foyer où vivent humains, chiens et chats, un virus influenza est en mesure de franchir la barrière d’espèce et d’infecter tous ces hôtes potentiels. Ignorer ce maillon, à l’heure où le H5N1 infecte les mammifères, serait une erreur stratégique.

