Les éoliennes sont les emblèmes de la transition énergétique verte, mais leur impact sur la biodiversité préoccupe. Ces turbines géantes seraient en effet responsables d’une importante mortalité chez les chauves-souris, plus élevée que les précédentes estimations le laissaient supposer. Les détecteurs à ultrasons utilisés pour évaluer le nombre d’animaux évoluant dans les parcs à éoliennes n’auraient ainsi quantifié qu’une petite partie des chiroptères affectés. Dans sa forme actuelle, la surveillance minimise l’impact des éoliennes sur les populations de chauves-souris, cruciales pour les écosystèmes.
Avec la montée en puissance des énergies renouvelables, les éoliennes font de plus en plus partie du paysage de nos campagnes dans le but de réduire les émissions de CO2 et d’atténuer le changement climatique mondial. Cependant, la production énergétique d’une éolienne n’est pas neutre sur le plan environnemental. En effet, ces turbines nécessitent de vastes surfaces pour fonctionner qui peuvent empiéter sur le territoire naturel de la faune locale. Un grand nombre d’oiseaux et de chauves-souris sont tués chaque année par les éoliennes. Ce conflit entre les objectifs environnementaux climatiques et la protection de la biodiversité n’est pas résolu et nécessite de recueillir davantage de données qui, pour le moment, font défaut.
Les vertébrés impliqués dans le plus grand nombre d’incidents mortels liés aux éoliennes sont les chauves-souris. Ces engins sont d’ailleurs la cause anthropique de mortalité la plus fréquemment observée chez ces espèces dans le monde. Des évaluations de l’impact environnemental des éoliennes sont obligatoires dans de nombreux pays au cours de la ou des premières années qui suivent leur construction, afin de mesurer leur incidence sur les populations animales, dont les chiroptères. Pour cela, les chercheurs utilisent souvent des détecteurs à ultrasons automatisés, placés au bas de la nacelle, pour estimer le risque de mortalité chez les chauves-souris. Ces outils enregistrent automatiquement les appels d’écholocalisation des animaux, qui servent à identifier les espèces et leur activité tout en tenant compte des conditions environnementales. Ces informations permettent de mettre en place des stratégies pour réduire les risques de collision. Par exemple, puisque les chauves-souris semblent moins actives lorsque la vitesse du vent augmente, il est envisagé de programmer un démarrage des éoliennes lorsque le vent souffle à une vitesse plus élevée qu’actuellement, afin de limiter les interférences avec ces animaux.
Mais cette stratégie n’est valable que si les données fournies par les détecteurs à ultrasons automatisés sont représentatives de ce qui se passe vraiment sur le terrain. Or la comparaison des données acoustiques avec d’autres méthodes, telles que les relevés visuels, montre que seulement 30 à 50 % des passages de chauves-souris sont enregistrés par les détecteurs à ultrasons. De plus, l’activité acoustique des chauves-souris à la hauteur de la nacelle ne correspond pas nécessairement aux mortalités effectives. Des chercheurs allemands et anglais ont voulu mieux comprendre ce décalage et identifier les facteurs de dysfonctionnement des détecteurs à ultrasons dans les zones autour des éoliennes plus à risque de les blesser.
Les scientifiques montrent que l’atténuation géométrique et atmosphérique des appels d’écholocalisation, en conjonction avec la sensibilité limitée des microphones ultrasoniques, limitent beaucoup la distance de détection des chauves-souris. Compte tenu de l’ombre acoustique produite par la nacelle, et en partant d’une longueur des pales de 60 m, les détecteurs à ultrasons ne couvrent qu’environ 23 % de la zone à risque autour des éoliennes pour des chauves-souris qui vocalisent à 20 kHz. Cette couverture chute à 4 % pour des vocalises à 40 kHz. Et le pourcentage continue de baisser avec l’augmentation de la longueur des pales pour les éoliennes plus modernes. De plus, la directionnalité des écholocations et le comportement aérodynamique des chauves-souris limitent la détectabilité des animaux. Et c’est sans compter sur les grandes variations intraspécifiques et les faibles variations interspécifiques des écholocalisations, qui peuvent rendre l’identification des espèces difficile et limiter ainsi le pouvoir prédictif des modèles en place.
Les chercheurs concluent donc que, dans sa forme actuelle, la surveillance acoustique visant à estimer l’impact des éoliennes sur les populations de chauves-souris est fortement limitée par des facteurs techniques, physiques et biologiques. Il faudrait éventuellement placer davantage de détecteurs d’ultrasons à plusieurs endroits sur les éoliennes, ou encore les coupler à d’autres moyens de détection comme des radars ou des caméras thermiques pour avoir une vision plus juste de l’impact réel de ces turbines géantes sur les chiroptères. Pour le moment, les données recueillies sont trop parcellaires.