Au Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV), les élections du conseil d’administration font figure de formalité, tellement l’équipe mise en place au fil des années est aboutie. Mais ce serait une erreur de croire que rien ne bouge, au contraire. En une décennie, l’industrie pharmaceutique du médicament vétérinaire a su se structurer, travailler en commun sur le développement de son marché et… se doter d’une stratégie, ce qui n’est pas forcément donné à toutes les organisations représentatives françaises.
Dans un contexte difficile, le SIMV est devenu un véritable acteur dans l’actualité du médicament vétérinaire, comme en témoigne son implication lors des dernières discussions européennes sur le couplage prescription-délivrance et sur le projet de réglementation du médicament vétérinaire qui sera discuté prochainement.
Le vétérinaire comme partenaire
En juillet dernier, le SIMV organisait son assemblée annuelle à Strasbourg. L’occasion de consacrer une table ronde aux travaux européens sur le médicament, autour de plusieurs personnalités, et non des moindres : Françoise Grossetête, fer de lance du médicament vétérinaire et des antibiotiques en Europe et rapporteure de la proposition de règlement sur le médicament vétérinaire, des députés européens tels que Michel Dantin ou Jean-Paul Denanot, la fine fleur de l’administration française représentée par Loïc Evain (DGAL adjoint), Catherine Choma (DGS), ou encore Gilles Salvat, directeur de la santé animale à l’Anses, sans oublier Stefano Soro pour la Commission européenne. Voilà typiquement ce que sait faire le SIMV, comme pourrait le faire de son côté la Fédération des vétérinaires européens (FVE).
Mais cette force politique, elle existe aussi en France. Alors même que les débats sur le découplage créaient des tensions entre organisations professionnelles agricoles, vétérinaires et industrielles, que l’industrie se voyait accusée de tous les maux, interdite dans certaines réunions, exclue des instances de formation, etc., c’est bien grâce au SIMV que les praticiens ont pu conserver la prescription-délivrance du médicament vétérinaire.
Certes, les laboratoires vétérinaires sont de moins en moins dirigés par des vétérinaires. Il n’en demeure pas moins que les industriels ont décidé, une fois pour toutes, qu’ils travailleraient avec la profession vétérinaire. Une position qui n’était pas gagnée d’avance. D’autres secteurs professionnels ont déjà montré que le poids du prescripteur dans une chaîne de valeurs est très relatif.
Il est d’ailleurs étonnant de voir les représentants vétérinaires tirer à boulets rouges sur cette industrie. Car sans elle, il n’y aurait plus de formation, plus d’information, etc. Pour s’en convaincre, il suffit de constater le poids des partenariats dans les salons et autres congrès techniques. Un double discours qui pourrait d’ailleurs se retourner un jour contre ceux qui tiennent ces positions hypocrites.
Peut-être qu’un Sunshine Act à la française, cette obligation de transparence dans les liens entre l’industrie et les professionnels de santé, verra bientôt le jour, et permettra enfin de clarifier la situation sur le terrain, tant au sein des associations qu’au niveau des experts et des enseignants.
Une indépendance plus marquée
Il n’est pas encore question d’un divorce avec la profession vétérinaire. Toutefois, quand l’industrie devient au fil du temps persona non grata, elle s’adapte. Nous sommes là au cœur du second volet stratégique du SIMV sur les douze derniers mois : l’événementiel. Son président, Jean-Louis Hunault, a su faire entrer par le passé la santé animale dans les grands rendez-vous nationaux de la santé : les journées de la recherche à l’Elysée (les RIR), les partenariats public-privé en R&D, etc.
Et depuis décembre 2014, le syndicat qu’il préside a intégré le BioFIT, le rendez-vous de l’innovation industrielle et de la recherche, dont la 4e édition aura lieu à Strasbourg, les 1er et 2 décembre 2015. Au-delà de ce succès incontestable (160 projets d’innovation ont tenté d’être parmi les 50 retenus), c’est le concept même des congrès actuels de la profession vétérinaire qui va s’en trouver bouleversé. Car l’une des forces de cet événement pour le SIMV est de fédérer, au sein de ses membres, nombre de métiers, au-delà des habituels CEO et autres directeurs France des laboratoires. Dans les allées de cette convention se côtoient en effet des dirigeants, des chercheurs, des marketeurs et des responsables M&A. Ainsi, ce salon supplémentaire pour la profession vétérinaire devrait rapidement dépasser le simple rendez-vous des partenariats public-privé et offrir à ses visiteurs une véritable plate-forme stratégique, tant pour les entreprises que pour leurs cadres.
Allier recherche médicale et production de remèdes, n’est-ce pas là le moyen de regrouper l’ensemble des outils qui dessineront la médecine de demain ? Il apparaît en tout cas vital de comprendre ce que sera la médecine vétérinaire dans dix ans, voire bien au-delà, tant les délais des solutions R&D commercialisables sont longs. Enfin, il est intéressant d’observer l’intérêt que porte la médecine humaine aux innovations vétérinaires, via la présence de plusieurs entreprises de santé humaine parmi les participants.
Prochain défi : la médecine 3.0 ?
Le point noir de l’industrie vétérinaire, mais aussi de celle de la santé plus généralement, reste l’appréhension de l’e-santé. Il ne s’agit pas ici de ces applications mobiles qui relèvent globalement du gadget, parfois couplées à un service ou à un produit tout aussi peu innovant. L’enjeu de l’e-santé, plus spécifiquement animale, est considérable. Pourtant, il est étonnant de voir le manque d’entrain de l’industrie pour se lancer dans la course.
D’ailleurs, Christian Lajou, fin stratège de Sanofi, lors des États généraux du numérique au Medef qui ont eu lieu avant l’été, évoquait déjà l’énorme retard des professionnels du secteur dans ce domaine. Pas des praticiens, mais bel et bien des industriels. Et pourtant, Sanofi n’est pas connu pour être en retard sur ce dossier, comme en témoignent ses partenariats avec Google en médecine humaine. Christian Lajou évoquait même un tournant du contrôle de l’e-médecine : « Nous sommes à un moment où il va falloir choisir entre le professionnel du secteur (l’industriel) ou le professionnel du métier (Google, Apple, ou autres Amazon) », illustrant ses propos par des exemples déjà opérationnels.
Il n’est pas difficile de comprendre qui pourrait sortir gagnant de ce challenge à deux partenaires. Pas à trois ? Non, si l’on considère la mise à l’écart sans ménagement des professionnels de la santé humaine. Le contact se fait directement entre l’industriel et le patient. En la matière, la cardiologie a été pionnière. Notamment parce qu’il y a des instances qui sauront toujours s’adapter et faire adapter la réglementation pour pousser leurs solutions dans le but d’une meilleure réponse au consommateur : le malade, l’hypochondriaque ou le détenteur de l’animal. Dans ce cadre, les démarches engagées le 10 septembre 2015 par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, seront intéressantes à suivre. En effet, elle a créé un groupe de réflexion sur le big data en santé afin de répondre à quatre questions :
- Le big data pour quels usages ?
- Quels sont les aspects éthiques et juridiques que soulève le big data en santé ?
- Quelles infrastructures doivent être mises en place pour permettre l’essor du big data en santé ?
- Quel modèle économique et sociétal doit-on privilégier pour mieux intégrer le big data en santé ?
« Le numérique s’immisce dans chacun de nos gestes quotidiens et change nos manières de nous déplacer, de consommer, de décider, de nous soigner », a déclaré la ministre, ajoutant qu’elle souhaite « approfondir la réflexion sur le big data en santé ».
Ce débat reste franco-français tellement l’approche du contrôle des données diffère d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre. Schématiquement, en France, nous refusons d’ouvrir nos données, mais nous sommes pourtant les plus exposés, via Facebook et autres sources de mégadonnées. A contrario, dans les pays anglo-saxons, ce qui compte, c’est l’apport des solutions dans le quotidien, quitte à perdre un peu de soi. Ce choc des cultures devrait révolutionner la médecine, notamment chez l’animal, dans les prochaines années, via de grands acteurs internationaux, loin du spectre redouté d’une ubérisation* du métier. Surprenant alors que l’industrie vétérinaire française ne rebondisse pas sur ce sujet. À moins qu’un salon comme BioFIT devienne le rendez-vous de cette nouvelle santé.
* L’ubérisation, ou innovation de rupture, permet à des acteurs de révolutionner les usages et de capter une grande partie de la chaîne de valeurs d’un secteur d’activité en utilisant le numérique. Le nouvel acteur ne crée pas un nouvel usage, mais il l’enrichit, venant se substituer au marché existant.