Une vaste analyse comparative des génomes de 1 346 chiens, issus de 161 races présentes sur les cinq continents, vient d’être publiée*. Cette étude, la plus importante à ce jour, révèle la complexité du développement des races canines, dévoile leurs origines et l’impact des migrations sur celles qui sont géographiquement distinctes, et renseigne sur le transfert de certaines anomalies génétiques, ce qui devrait aider les chercheurs à identifier les gènes pathogènes chez le chien, mais aussi chez l’homme. Car lorsque les populations humaines migrent, Canis familiaris est également du voyage. L’étude piste notamment la trace génétique des chiens qui ont accompagné les premiers hommes dans la colonisation des Amériques (chiens nus du Mexique et du Pérou).
Il existe actuellement plus de 400 races de chiens domestiques dans le monde, chacune avec une histoire et un profil génétique uniques. La vaste analyse parue dans Cell Reports s’est attachée à percer les mystères de l’évolution dans le temps et dans l’espace de 161 d’entre elles. Les comparaisons réalisées éclairent l’origine de ces races de chiens, leur époque d’émergence et leurs voies de diversification.
91 % des races canines étudiées et comparées ont été regroupées en 23 groupes génétiques différents. Bien que génétiquement distincts, ces clades, composés de 2 à 18 races chacun, regroupent des chiens issus d’une même région géographique avec des aptitudes similaires et des ancêtres communs : par exemple, les boxers, les bouledogues et les Boston terriers font partie d’un de ces groupes, tandis que les chiens de berger, les corgis et les collies sont inclus dans un autre, les retrievers, les spaniels et les setters dans un troisième, etc.
Le regroupement de ces différentes races, qui partagent des aptitudes communes, suggère qu’il y a des milliers d’années, l’élevage canin privilégiait la sélection de fonctions spécifiques (chien de chasse, de garde, de troupeau, etc.) plutôt que la morphologie. Plus récemment, au cours des deux derniers siècles, ces clades ont été subdivisés en de multiples races canines, sélectionnées sur des critères morphologiques, et ont fait l’objet de nombreux croisements pour ajouter de nouveaux traits physiques répondant aux modes de l’époque. Suivre ces croisements permet ainsi d’identifier la source des mutations au sein de toutes les races de chiens modernes.
L’étude montre également que certaines races ont contribué à en créer d’autres, car elles partagent l’ADN de plusieurs clades. Au final, l’arbre phylogénétique obtenu (différentes couleurs) retrace les relations entre 161 races canines qui ont pour ancêtre commun (trait noir) l’une des neuf espèces de canidés sauvages actuelles.
Des applications pratiques
Ces clades devraient aider les vétérinaires à mieux détecter des problèmes génétiques potentiels. Par exemple, il était jusqu’à présent difficile de comprendre pourquoi une maladie héréditaire appelée anomalie de l’œil du colley, qui touche les races colleys, border collies, bergers des Shetland et australien, était également observée chez le retriever de la Nouvelle-Écosse. Or l’analyse génétique montre que cette race canadienne a pour ancêtres le colley et/ou le Shetland, source probable de la transmission du gène défectueux. Les croisements de races ont ainsi entraîné un partage de certaines régions génomiques hébergeant des mutations à l’origine de maladies chez des races de chiens très éloignées.
En outre, les chiens sont victimes de plusieurs maladies qui affectent aussi l’homme (épilepsie, diabète, maladies rénales, cancer, etc.). Or si la prévalence de ces maladies varie beaucoup mais de façon prévisible selon les races canines concernées, il est plus difficile de segmenter les populations humaines à risque. En utilisant les données fournies par l’analyse, il devient possible de suivre la migration des allèles de telle maladie et de prédire dans quelle zone ils sont susceptibles d’apparaître. Le chien est ainsi un modèle animal majeur pour de nombreuses affections : chaque fois qu’un gène pathogène est identifié dans l’espèce canine, il se révèle également important chez l’homme.
Tous les échantillons d’ADN récoltés par les auteurs proviennent de chiens dont les propriétaires se sont portés volontaires, au cours des vingt dernières années. Mais plus de la moitié des races canines dans le monde n’ont toujours pas été séquencées et les chercheurs ont l’intention de continuer à collecter les génomes canins pour combler les lacunes. Cette étude n’est donc pas un point final, mais un point médian.
* Heidi G. Parker : « Genomic analyses reveal the influence of geographic origin, migration and hybridization on modern dog breed development, Cell reports », Cell Reports, avril 2017, http://www.cell.com/cell-reports/fulltext/S2211-1247(17)30456-4?_returnURL=http%3A%2F%2Flinkinghub.elsevier.com%2Fretrieve%2Fpii%2FS2211124717304564%3Fshowall%3Dtrue