La commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie, qui a auditionné tous les acteurs impliqués de mars à juillet 2016, a rendu sa copie le 20 septembre dernier. Son rapport*, riche de 306 pages, vient d’être officiellement remis au président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. Premier travail parlementaire sur la question des conditions d’abattage des animaux, ce rapport avance 65 propositions pour améliorer le bien-être animal, qui visent notamment à pallier l’insuffisance des contrôles dans les abattoirs et le manque de transparence. La balle est désormais dans le camp du Parlement, avec la discussion de la proposition de loi** déposée le 20 juillet par 74 députés, dont les vétérinaires Geneviève Gaillard et Jacques Lamblin.
Les principales préconisations de cette proposition de loi, qui vise à prévenir et réduire le plus possible la souffrance des animaux d’élevage lors des procédures d’abattage, vont dans le même sens que les conclusions de la commission d’enquête : il s’agit de rendre obligatoire la vidéosurveillance en abattoir, d’imposer l’étourdissement avant la saignée et jusqu’à la mort de l’animal, et de renforcer les compétences des opérateurs pour mieux lutter contre toute souffrance animale évitable. Il faut désormais que les députés se saisissent du sujet et transposent les propositions du rapport dans un texte de loi pour qu’elles soient applicables.
Le jour même de la parution du rapport, le 20 septembre, l’association L214 rendait publique une nouvelle vidéo** tournée dans un important abattoir de Nouvelle-Aquitaine, lors des sacrifices rituels de l’Aïd el-Kebir. Les images montrent l’égorgement à vif de moutons, des animaux suspendus encore vivants et conscients qui se débattent, etc. Après les scandales révélés par L214 dans les abattoirs d’Alès et du Vigan (Gard), de Mauléon-Licharre (Pyrénées-Atlantiques), de Pézenas (Hérault) et du Mercantour (Alpes-Maritimes), et malgré le renforcement des contrôles voulu par le ministre de l’Agriculture et les visites inopinées de la commission, force est de constater que les infractions à la réglementation sur la mise à mort se poursuivent et que la maltraitance animale perdure.
De leur côté, les 30 députés de la commission ont révélé de « nombreux dysfonctionnements souvent mineurs, parfois majeurs, auxquels il est indispensable de remédier ». Les manquements concernent tous les types d’abattoirs, sans aucun lien entre leur statut (public ou privé) ou leur taille et le respect de la réglementation sur la protection animale.
Pour pallier l’insuffisance des contrôles et de la transparence, il s’agit notamment d’augmenter les effectifs des services vétérinaires, en baisse de 19 % en dix ans, afin de renforcer les inspections à tous les postes, notamment d’abattage, et pas seulement sur les aspects sanitaires, mais aussi sur le bien-être animal. Les inspecteurs de la santé publique vétérinaire devraient en outre disposer d’un nouvel outil, la vidéosurveillance, qui concernera notamment les postes d’abattage, les quais de déchargement et les zones de stabulation. Les images seraient visibles par les services vétérinaires, les directions d’abattoirs, voire les syndicats, mais pas par les associations de protection animale.
Le président (Olivier Falorni) et le rapporteur (Jean-Yves Caullet) de la commission souhaitent suivre l’application de leurs recommandations via la création d’un groupe d’étude informel. Quant à la proposition de loi de Geneviève Gaillard et Jacques Lamblin, espérons qu’elle sera mise à l’ordre du jour des discussions à l’Assemblée nationale avant la fin de la mandature, en février prochain.
* http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-enq/r4038-ti.pdf
** https://vimeo.com/183348780
Les 65 propositions du rapport d’enquête
- Mettre en place un Comité national d’éthique des abattoirs.
Il réunirait les acteurs de la filière, des philosophes, des parlementaires, des représentants de l’administration et des représentants des cultes.
- Organiser régulièrement des opérations de contrôle des conditions de transport des animaux par les services de gendarmerie.
- Soumettre à un agrément les fournisseurs de matériel d’immobilisation et d’étourdissement.
- Faire de l’adaptation aux espèces et aux gabarits des animaux la priorité dans la conception des couloirs, des boxes et des pièges.
- Rendre obligatoire la disponibilité sur Internet de modes d’emploi en français et dans la langue des salariés.
- Rendre obligatoire l’affichage du mode d’emploi des matériels à proximité du lieu de leur utilisation.
- Rendre obligatoire l’entretien journalier des matériels.
- Abaisser à 100 000 € le seuil des dépenses éligibles à l’appel à projets “reconquête de la compétitivité des outils d’abattage et de découpe” pour le volet “projets structurants des filières agricoles et agro-alimentaires” du programme d’investissements d’avenir.
- Limiter le nombre d’animaux en circulation dans l’abattoir en fonction de leur espèce.
- Renforcer les effectifs des opérateurs lors de la circulation des animaux.
- Rendre obligatoire l’utilisation de mentonnières pour l’application des pinces à électronarcose.
- Installer des témoins lumineux pour l’application des pinces à électronarcose.
- Étudier les enjeux financiers d’une généralisation de l’étourdissement par gaz pour les volailles et le recours au programme d’investissements d’avenir.
L’étourdissement par électronarcose par bain d’eau, généralisé en France, a montré son inefficacité. La méthode gazeuse est actuellement la seule à garantir une souffrance moindre pour les volailles. Elle est pratiquée dans les abattoirs de plusieurs pays (Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne, etc.).
- Intensifier les recherches sur un étourdissement par gaz moins aversif et plus efficace pour les porcs.
Le règlement européen de 2009 relatif à la protection des animaux au moment de leur mise à mort, entré en application en 2013 en France, soulignait déjà l’importance de poursuivre les discussions sur l’abandon progressif de l’usage du dioxyde de carbone. Depuis sept ans, la recherche de solutions non aversives n’a pourtant guère progressé.
- Mieux sensibiliser les opérateurs et les contrôleurs à l’étape du contrôle de l’étourdissement.
- Développer la recherche sur des systèmes automatisés de contrôle de l’étourdissement et, le cas échéant, les mettre en place en plus du contrôle de l’opérateur.
- Faire adopter d’urgence un guide des bonnes pratiques pour chacune des espèces abattues en France.
- Annexer aux guides des bonnes pratiques des modèles types de modes opératoires normalisés.
- Renforcer les contrôles de l’existence, du contenu et de la maîtrise des modes opératoires normalisés au sein de chaque abattoir.
- Développer les recherches sur l’étourdissement réversible chez les ovins et les bovins.
- Procéder à une évaluation du dispositif de traçabilité et en améliorer le fonctionnement, en particulier préciser le volume des abats abattus rituellement.
- Encourager la communauté juive dans sa réflexion sur l’utilisation des parties arrière de l’animal abattu rituellement.
- Poursuivre le débat avec les communautés religieuses et les scientifiques au sein du Comité national d’éthique des abattoirs.
- Modifier l’article R.214-74 du Code rural pour préciser que l’étourdissement réversible et l’étourdissement postjugulation sont possibles en cas d’abattage rituel.
Cette proposition ne rend pas obligatoire l’étourdissement après l’égorgement et n’exige pas l’adoption de modes opératoires spécifiques, avec la présence permanente d’un vétérinaire. Si l’abattage sans étourdissement préalable à la saignée est déjà interdit dans plusieurs pays (Suède, Danemark, Lettonie, Suisse, Liechtenstein, Islande et Norvège), la France n’a toujours pas adopté de position claire sur la question.
- Suivre avec attention l’expérimentation d’un abattage à la ferme menée en Suisse et procéder à son évaluation.
- Soutenir à titre expérimental la mise en service de quelques abattoirs mobiles.
- Inciter les exploitants des petits abattoirs à s’inspirer de l’accord collectif de branche relatif à la pénibilité pour améliorer les conditions de travail des opérateurs.
- Développer l’ergonomie des postes et associer les travailleurs concernés à leur définition.
- Développer la recherche sur les exosquelettes.
- Sensibiliser les personnels encadrant et la direction des abattoirs aux problèmes psychiques des travailleurs.
- Créer des groupes de parole ou des cellules psychologiques au sein des abattoirs.
- Imposer l’abattage d’un tonnage maximum par opérateur.
- Rendre obligatoire, dans les abattoirs de plus de 50 salariés, la rotation des travailleurs sur les postes de travail.
- Compléter la formation exigée pour l’obtention du certificat de compétence par une réelle formation pratique.
- À l’occasion du prochain renouvellement quinquennal des certifications, soumettre les opérateurs à une nouvelle évaluation.
- Profiter du prochain renouvellement des certificats pour relever le niveau des questions.
- Afin de permettre l’assimilation des connaissances, déconnecter le temps de formation du moment de l’évaluation.
- Créer plusieurs échelons de distinction des opérateurs obtenant le certificat, en fonction de leur résultat à l’évaluation.
- Accélérer la reconnaissance des certificats de qualifications professionnelles dans le répertoire national des certifications professionnelles.
- Inciter les exploitants d’abattoirs à classifier les postes.
- Inciter les exploitants d’abattoirs à développer le tutorat entre opérateurs.
- Renforcer la formation des personnels encadrants à la gestion des personnels, à la maîtrise des risques psychiques et au bien-être animal.
- Prévoir, sous le contrôle de l’État, une formation pratique des sacrificateurs et subordonner l’agrément religieux à la détention établie de cette compétence technique.
- Porter la formation par catégorie majeure d’animaux supplémentaire à une durée de 4 heures, et la formation par catégorie mineure d’animaux supplémentaire à une durée de 2 heures, ces temps supplémentaires devant être consacrés à une formation pratique in situ.
- Instituer la règle que le deuxième essai pour les candidats qui ont échoué à la première évaluation n’intervienne pas immédiatement après le premier essai et qu’il soit décalé dans le temps.
- Créer plusieurs échelons de distinction des opérateurs obtenant le certificat, en fonction de leur résultat à l’évaluation.
- S’assurer que la présence d’un responsable protection animale (RPA) soit généralisée à l’ensemble des abattoirs du territoire français.
- Généraliser la création de réseaux de RPA à l’ensemble des abattoirs français.
- S’assurer de la prise en compte spécifique des lanceurs d’alerte en abattoir dans la loi Sapin actuellement en discussion.
- Augmenter le recrutement de vétérinaires et de techniciens supérieurs du ministère de l’Agriculture pour les affecter en abattoirs.
- Renforcer la formation en protection animale en abattoirs des services vétérinaires, titulaires et vacataires.
- Pour les abattoirs de boucherie de plus de 50 salariés, rendre obligatoire la présence permanente d’un agent des services vétérinaires aux postes d’étourdissement et de mise à mort. En dessous de ce seuil, renforcer leur présence à ces postes.
Stéphane Le Foll affirmait il y a quelques mois que 500 postes supplémentaires de vétérinaires étaient nécessaires dans les abattoirs, tout en avouant qu’il n’y avait pas de budget pour cela. En outre, il est dommage de fixer un seuil aux établissements de plus de 50 salariés, car les infractions et les dysfonctionnements constatés concernent également les petits abattoirs.
- Réorganiser les deux vade-mecum d’inspection des abattoirs en créant un chapitre spécifique aux points de contrôle de la protection animale.
- Prévoir une fréquence plus importante d’audits pour les établissements en non-conformité moyenne ou majeure.
- Créer une brigade bien-être animal avec les référents nationaux abattoirs (RNA) et les agents de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) et doubler le nombre de ces agents.
- Alourdir les sanctions prévues en cas d’infraction à l’article R.215-8 du Code rural en prévoyant des amendes de 5e classe et la requalification en délit des cas de récidive.
- Sensibiliser les parquets aux actes contrevenant au bien-être animal.
- Modifier l’article 2-13 du Code pénal relatif à la constitution de partie civile des associations afin d’y inclure les infractions pénales relevant des dispositions du Code rural.
- Encourager les exploitants d’abattoir à conclure des partenariats avec une ou plusieurs associations de protection animale de leur choix dont la légitimité est avérée.
- Autoriser les parlementaires à visiter les établissements d’abattage français de façon inopinée, éventuellement accompagnés de journalistes titulaires de la carte d’identité professionnelle.
- Créer un comité local de suivi de site auprès de chaque abattoir, réunissant des élus locaux, l’exploitant et les représentants des salariés de l’abattoir, des éleveurs, des services vétérinaires, des bouchers, des associations de protection animale, des associations de consommateurs et des représentants religieux dans la mesure où il est pratiqué un abattage rituel
- Rendre obligatoire l’installation de caméras dans toutes les zones des abattoirs dans lesquelles des animaux vivants sont manipulés.
La vidéosurveillance est un bon outil, mais il faudra donner plus de moyens aux services vétérinaires afin qu’ils puissent visionner les enregistrements fréquemment. Si la vidéosurveillance fait l’objet d’une loi, il reste à déterminer comment s’effectueront les contrôles et qui en sera chargé, uniquement l’État ou les associations de protection animale auront-elles un droit de regard ?
- Ouvrir à la négociation collective la possibilité d’utiliser la vidéo comme outil de formation.
- Interdire dans la loi l’utilisation de la vidéo pour toute autre finalité que le bien-être animal et la formation.
- Aider financièrement les petits abattoirs pour l’installation des caméras.